Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

184 CHAPITRE CINQUIÈME.

disait ne devoir plus travailler que pour la royauté en général, pour la cause des souverains coalisés contre la Révolution française. Il oubliait alors une considération qui lui en imposait quelques années auparavant, à savoir, que la politique des cours en voulait surtout à la prépondérance de la maison de Bourbon en Europe; et il devait rester désormais à la solde de ses protecteurs de cireconstance, autrichiens, russes ou anglais, contre la France sa première patrie.

Déjà, à Venise, il était entré dans ses habitudes de lier partie avec des politiques de toute nation; il croyait par là se donner de l'importance et ne réussissait qu'à accumuler les soupçons. Après son aventure de Milan, il eut la tentation de passer en Angleterre; ses amis de Londres l’appelaient à eux et lui avaient envoyé un passeport (1). Puis dés avis lui vinrent de France, qui lui dénoncèrent ce projet comme éventuellement fatal à la sécurité de sa mère et aux intérêts des siens. Il se prit alors à penser que l'Autriche était encore le pays le plus propice à une entreprise de reportage diplomatique profitable à sa bourse et acceptable pour son amour-propre. Le premier ministre Thugut, alors qu'il remplissait à Constantinople un double rôle, celui de serviteur de l'empereur et celui de correspondant pensionné du roi de France, y avait connu son oncle de Saint-Priest; il devait montrer quelque indulgence à ceux qui vivent, sous une double enseigne, des basses œuvres de la politique. D'Antraigues espérait, à la faveur de ces souvenirs, devenir, dans les emplois secrets, un personnage. De plus, en demeurant à Vienne, il s'arrétait à mi-chemin de la Russie, sa patrie officielle, et de

(1) D'Antraigues à Maury, 45 avril 1798.