Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
198 CHAPITRE CINQUIÈME l'avait rejoint, et continuait à lui servir de secrétaire.
En 1799, d’Antraigues fournit à la chancellerie russe plusieurs mémoires, fantôt sur les affaires de l’ordre de Malte, tantôt sur l'accession des Suisses à la coalition, et rédigea des bulletins réguliers sur la cour de Vienne. Ce que contenaient ces bulletins, il est facile de le deviner: c'étaient d'ordinaire de ces nouvelles qui sont dans toutes les bouches, ou que leurs auteurs sont seuls à connaître, des propos soi-disant émanés de Thugut, et dont Kourakine seul acceptait sans critique la provenance.
L'auteur de ces chroniques chercha à se poser en négociateur officiel, au moment où la brouille momentanée entre la Russie et l'Autriche achevait de dissoudre la coalition. Un salut de pavillon oublié dans la rade d’Ancône avait été pour l’empereur Paul un prétexte de donner carrière à sa colère contre son allié de Vienne. Kalytchev, et derrière lui d’Antraigues, se trouvèrent à portée d'en communiquer l'expression. En présence de ce dernier, Thugut estima piquant de faire retomber sur lui la mauvaise humeur suscitée de part et d'autre par cette désagréable affaire.
À une première entrevue, il le traita comme un individu sans conséquence et sans mandat. D’Antraigues lui ayant communiqué les éclaircissements réclamés par le cabinet de Vienne sous la forme d’une lettre adressée à lui-même par Kalytchev : « C’est une confidence, répliqua le ministre, de lui qui est votre chef à vous qui êtes sous ses ordres; je ne vois en cela rien d'’officiel. » Son interlocuteur eut beau vouloir entrer dans le fond de la question, insinuer que l'Autriche devait une réparation à Paul I‘, insister sur le caractère spécial de cette affaire, qui exigeait des formes à part et excusait en tout cas son intervention spontanée, Thugut ne voulut pas laisser à