Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

6 - UN HIVER A PARIS

beaucoup de Russes et d’Anglais, remplissaient les somptueux appartements de la légation.

Le vieux Fox (1) a fait un whist interminable avec quelques diplomates. Son front rayonne d'intelligence et de volonté; une forêt de sourcils épais ombrage ses yeux noirs, brillants et profonds. Son menton large et retombant indique des appétits sensuels; mais sa bouche a quelque chose de fin et de séduisant. Il est corpulent, large d’épaules et de taille moyenne. Sa femme, grosse Anglaise commune, blanche et rouge, qui gouvernait depuis longtemps sa maison et qu’il a épousée récemment, est bien la moitié que l’on eût révée pour ce mari à menton massif. À côté d’elle, les majestueuses ou fines beautés italiennes et russes semblaient de vraies déesses. La splendide Mme Visconti (2), que j'admirais à Rome il y a quelques années, est étonnamment conservée ; les princesses Galitzin, Dolgorouki et autres grandes dames russes faisaient valoir de délicieuses toilettes.

Les salons ont commencé à se remplir après le spectacle, c’est-à-dire passé onze heures.

Les joueurs se sont attablés dans plusieurs pièces spéciales; les étoiles féminines se sont groupées autour d’une grande table de reversi, de façon à permettre aux cavaliers de leur faire aisément la cour. La plus grande

(1) Fox (Charles-Jacques), le célèbre orateur et homme d'État, fils de lord Holland, n’avait que cinquante-trois ans en 1802. Mais sa vie dissipée et sa passion effrénée pour le jeu n'étaient pas faites pour le rajeunir.

(2) « Elle (Mme Visconti) était vraiment belle, dit la duchesse d’Abrantès. Je crois même n’avoir jamais vu de tête plus charmante que la sienne. » Maïs... « elle avait deux mains qui ne pouvaient agir de la même manière l’une que l’autre, car elles sont attachées à deux bras bien faits assurément, mais d’inégale longueur. Cette inégalité était extrêmement sensible, lorsque Von voyait Mme Vis-

+ cofrti.par derrière. »