Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

XXXIV

8 mars 1803.

Vous pensez bien que j'entends raconter une foule d’anecdotes sur la Terreur. Parmi ces récits, où le grotesque le dispute souvent à l’atroce, j'en choisis deux que je tiens du chanteur Chénard, où l'excellente basse de Feydeau a un rôle.

Chénard était déjà un artiste de marque, à l’époque; comme maintenant, il avait un caractère résolu. Il se savait soupçonné de royalisme et n’ignorait pas le danger d’une pareille suspicion. Un jour, il apprend que l’un des meneurs du club de sa section l’a publiquement dénoncé et fait porter sur la liste des suspects. Sans hésiter, Chénard se rend au club, coiïffé d’un grand bonnet rouge, monte à la tribune, et s’écrie de sa forte voix de basse : « Citoyens, on m’a dénoncé devant vous comme un conspirateur, comme un royaliste. Eh bien, oui, frères! Je suis mieux que cela; je suis un prince, un roi, un empereur, un tyran, car je suis un comédien! » On applaudit, on erie : « Ah! le brave Chénard! Ah! le franc coquin! » On l’entoure, on le porte en triomphe, on le raye de la liste fatale. :

Une autre fois, à l’une de ces représentations données -pour célébrer une: victoire, Chénard, chargé d’un rôle