Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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du général autrichien, avait à proférer, à la fin du premier acte, de folles bravades contre l’armée française, Il chantà avec tant de chaleur que sa basse-taille réveilla en sursautle commandant de la garde nationale, cuvant son vin dans une loge d’avant-scène. Tout ahuri, se figurant, en voyant baisser le rideau, que la pièce, dont il n'avait pas entendu un traitre mot, finissait, le commandant se jette à moitié hors de sa loge, jurant comme un possédé, ordonnant de conduire en prison cette troupe de contre-révolutionnaires. Vainement on tente de faire comprendre à la brute avinée que la pièce n’est pas au dénouement, que l’Autrichien va être châtié, que les Français seront victorieux! Impossible de lui faire rien entendre; les artistes furent emmenés. Un des gardes nationaux de l’escorte leur dit en marchant : « Ne vous désespérez pas avant demain. Lorsque le commandant aura dormi ‘son soûl, je l’entreprendrai et lui amènerai Chénard, principal prévenu. Que Chénard se prépare à à se défendre plaisamment, tout ira bien! »

En effet, le lendemain vers midi, les fumées du vin étaient évaporées, et Chénard, amené par le garde, trouva le commandant déjeunant de bon appétit. Il subit d’abord sans broncher une bordée d’injures et de jurons; au moment où l’ivrogne hors d’haleine se réconfortait d'un nouveau verre de vin, Chénard entonna de sa plus belle voix l’air final de la pièce suspecte. — Prisonnier et blessé à mort, le général autrichien chantait, avec Les exagérations de l’époque, l'héroïsme des républicains, la générosité de « la grande nation », et déplorait la honte de sa défaite, — Chénard sut si bien se démener et improviser si heureusement, à la suite de son grand air, l'apologie tragi-comique des comédiens, que le commandant, mourant de rire au milieu de ses bouteilles, le supplia de s’ar-