Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

XXXVI

45 mars 1803.

Dans ma dernière lettre, j’ai longuement parlé théâtre. Pourtant j'ai omis de donner place dans ma chronique au drame « romantique » de l’'Ambigu. Cette œuvre mirifique de Guilbert-Pixérécourt, la Femme à deux maris (1), mélodrame en trois actes, en prose et à spectacle, doit être signalée à nos imitateurs et traducteurs d’outre-Rhin,. si curieux d'émotions violentes ; ils y trouveront, mieux que dans l’aimable Fanchon la vielleuse, une ample moisson à faire. Il y a là, dans l’espace d’un jour et d’une demi-nuit, une avalanche d’incidents : vieux caporal fanatique de son métier, vieillard aveugle, voleurs, brigands, femme de haute vertu, paysans, filles naïves des champs, saltimbanques, bohémiens, joueurs, ivrognes, enlèvements, meurtres! Admirable pot-pourri d'éléments disparates; amalgame de blanc, de noir, de rouge, en dépit des lois d’Aristote!

La troupe de l’Ambigu trouve moyen de jouer cette monstruosité avec naturel et vivacité, en se lançant dans le genre scénique allemand plutôt qu’en suivant les traditions françaises. — Le public parisien, qui ne rêve que plaies et bosses, est ravi du spectacle.

(4) La Femme à deux maris est de 1802.