Bitef
Les perspectives du trompe-l’oeil Le génie de la machinerie Les Italiens sont les architectes de l’imaginaire, ils savent de naissance. Ils sont nés sous des ciels peints en fausse perspective, peuplés de muses lascives, d’anges équivoques. Nés entre les colonnettes ouvragées des loges couronnées d’acanthes dorées nés sur les escaliers aux rampes sculptées, qui montent dans un face-à-face asymétrique jusqu’aux niches abritant des piâtres aux yeux vides... Ils savent tous le secrets des tournettes, des poulies qui font glisser des murs, disparaître des forêts. Ils ont le génie de la machinerie, même quand ils travaillent dans le vide d’un grand magasin désaffecté. Celui où Memè Periini a installé son théâtre, dans un quartier décentré de Rome, au milieu des H.L.M., s’apellè Piramide. Il y accueille Peter Brook, Richard Foreman, les Carrozzone, Terry Riley, il y monte ses spectacles et y donne les dernières répétitions de Heliogabale.
Les représentations à Lille adapteront à la dimension du Grand Théà tre l’immense profondeur d’ombre du rectangle biscornu que Memè Periini et Antonello Aglioti - dans les éclats de lumière crue venue de grosses lampes dispersées - découpent en images planes, pareilles à des plaques photographiques noir et blanc qui surgiraient à différents endroits. Des meubles familiers sont arrangés dans un bric-à-brac élégant; des fenêtres opaques s’éclairent. Sur le devant, un praticable noir ressemble à un cercueil, et le couvercle, porte une grande horloge ronde, arrêtée. Un garçon en robe - on dirait une soutane courte - tape à la machine. Le spectacle articule ses cauchemars déliciéux et mauvais autour d’un texte enregistré qui entrecroise Artaud et Bataille, Le garçon - Heliogabale - se laisse glisser dans l’étranglement de rêves vénéneux, où grouillent des mères tueuses, des femmes pupleuses, cou renversé, qui, de leurs jambes écartées, font tourner une chaise. De harpies emperruquées, de jeunes filles butées, de putains croassantes. Femmes dont les jambes chaussées de vérnis, dont les pieds dénudés sont des appels. Le garçon affronte ses doubles, affronte l’image grotesque et émouvante d’un homme empâté, nu à l’exception d’un cache-sexe et d’eascarpins noirs, accolé à une
grande grosse femme à cheveux gris, vêtue de cuir ou de paillettes, avec qui il chante en duo Oh ту papa... Entraîné par des courants de musique fracassante (d’Alvin Curran) et de bruitages frénétiques, ponctué d’humour sardonique, le spectacle de Memè Periini jette en vrac les fragments déchirés d’un portrait d’adolescent suave et violent, noué de craintes, secoué de désirs arrogants, désir de meurtre, de vaincre, de souffrir, une infinité de désirs. Un adolescent ivre de sa propre mort et qui découvre les grâces de l’arrachement, Un adolescent comme tous, si tous étaient soutenus par le génie d’Artaud et de Bataille, si tous portaient en eux les dons fascinants de Memè Periini pour faire naître l’édifice éphémère et merveilleux de l’image théâtrale. □ Colette Godard, Le Monde, 5. 11. 1981.
Notes de mise en scène Ma Mère et Héliogabale, deux histoires, deux époques, mais un parallélisme fondamental: la présence ambigüe, tourmentée et tortueuse de la figure de la Femme, de la Mère.
C’est la complicité qui lie les fils à leur mère, les hommes aux femmes, un rapport inéluctable, un lien fatal, tragique. N’est inéluctable que ce qui est absolu, et la Femme, ainsi qu’elle vit dans ces deux textes, est cet Absolu. Pour Artaud, les Julia qui ont fait la grandeur et cuasé la mort d’Héliogabale, ne sont rien d’autre que les héritières des déesses originalles, chez lesquelles les principes féminin et masculin ont cessé d’être contradictoires pour devenir unité, principe abstrait et éternel, et c’est à travers elles que se transmettent, dans le project totalitaire et fou d’Héliogabale, cette unité et cette identité divines. Pour Pierre, le héros de Bataille, la découverte du sexe et du péché, de la vie ignominieuse de sa mère, de sa luxure, de sa dépravation signifie la découverte du vertige de l’infini, ce lieu où il n’est plus possible ni d’évaluer ni d’accepter la vie quotidienne: En cherchant Dieu je voulais m’enfoncer dans la boue et m’en couvrir pour ne pas être moins indigne que ma mère, (...) celte splendeur et cette grandeur sans lesquelles la vie est privée de vertiges et sans lesquelles on ne peut fixer ni le soleil ni la mort. Les inspiratrices et les génitrices du projet d’Héliogabale, comme de celui de Pierre, sont les Femmes, les Mères, et les deux histoires racontent