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BANOVIĆ STRAHINJA - RÉSUMÉ Banović Strahinja est la première oeuvre dramatique de l’écrivan yougoslave Borislav Mihajlović-Mihiz. Elle a été représentée pour la prèmiere fois le 27 février dans le »Théâtre dramatique yougoslave« de Belgrade et, la même année, elle a remporté le prix du VIII e festival de »Sterijino pozorje« (revue nationale des oeuvres et des artistes du théâtre yougoslave) en tant que meilleure pièce de théâtre pubüée et représentée au cours de l’hiver 1962-63. Or, cette année, d’après les programmes qui ne sont pas encore tous publiés, quatorze théâtres yougoslaves envisagent de monter cette pièce. On peut donc voir, dès à présent, que le succès obtenu par la pièce de Mihiz a été plus rapide et plus grand que celui de n’importe quelle autre pièce de théâtre, parue en Yougoslavie après la guerre. Le lecteur étranger n’apprendra pas grand-chose si on lui dit que le sujet de l’oeuvre a été tiré du poème épique national du même nom. Mais le fait de ne pas connaître l’épopée serbe, et ce poème en particulier, n’affectera en rien sa compréhension de l’oeuvre de Mihiz, Le poème national n’est en réalité qu’une trame, qu’un cadre conventionnel, sur lequel Mihiz vient broder sa propre thèse, philosophique, psychologique, sociologique, historique, et surtout contemporaine, moderne. La manière dont Mihiz s’est servi du poème national ressemble à celle dont les auteurs français se servent des mythes de l’antiquité classique; mais Mihiz traite son sujet de manière à être moins redevable à la teneur de son modèle que Cocteau ne l’est au mythe d’Oedipe, ou Sartre à celui d’Oreste. Mihajlovié a, tout simplement, pris une situation donnée, historiquement plus ou moins vraisemblable, qui rappelait le conflit psychologique que traite le poème national. Il l’a fait pour situer un problème concret, d’actualité très réelle, à une certaine distance du spectateur contemporain, lui permettant ainsi de suivre de façon plus impartiale sa conception dramatique fondamentale sur les rapports entre l’individu et l’autorité et sur cette autorité même. Voici, en deux mots, ce que nous dit le poème: Quittant son petit pays de Banjška, Banović Strahinja, noble seigneur et homme courageux, se rend à Kruševac, capitale de la Serbie d’alors où le tsar tient sa cour. Il y descend chez son beau père Jug Bogdan qui, quelques années plus tard, en 1389, tombera su le champ de bataille de Kossovo entouré de ses neuf fils dont pas un ne réchappera. Jug Bogdan symbolise dans l’esprit du peuple yougoslave la fécondité, le courage et les moeurs patriarcales. Pendant l’absence de Strahinja sa femme infidèle, Vidosava, le quitte pour suivre le

puissant rebelle turc Vlab Alija, immédiatement avant la bataille contre les Turcs, où les Serbes perdront leur empire et tomberont dans une captivité qui durera 500 ans. La faute commise est impardonnable, et, lorsque Strahinja et les frères Jugovič en reçoivent la nouvelle à Kruševac, Strahinja n’a rien de plus pressé à faire qu’à se lancer immédiatement à la poursuite du ravisseur pour se venger et reprendre sa femme. Les frères Jugovič refusent de le suivre, estimant qu’il serait insensé de risquer sa vie pour une cause perdue, puisque la faute de Vidosava est impardonnable. Une fois qu’ils l’auraient libérée, ils seraient bien obligés de la tuer pour la punir de sa faute. Strahinja part donc seul. Et, après une bataille acharnée pendant laquelle Vidosava soutient le ravisseur et non pas son mari, Strahinja reste vainqueur. Il rentre à Kruševac avec sa femme. La voyant, les frères Jugovič se précipitent pour la punir, mais Strahinja fait valoir son droit de mari. C’est à lui de punir sa femme ou de lui pardonner. Où étaient-ils au moment où il la libérait? C’est de cette légende que part Mihajlovié. Les modifications qu’il apporte à la fable même et les endroits où il s’écarte de la légende sont significatifs. Jug Bogdan, chez lui, est un bon vieux jovial et sceptique, sans rien d’héroïque dans la stature, qui est entré par un pur hasard dans la famille de la célèbre mère des Jugovič et a engendré avec elle des fils ambitieux. Chaque écolier en Yougoslavie connait la mère des Jugovič, cette mère héroïque qui reste impassible à la mort de ses neuf enfants, et il sait répéter au moins deux vers du poème national qui lui est consacré: »son coeur se raidit, se ferma, pas une larme ne s’en écoula« La mère des Jugovič est chez Mihiz l’incarnation des conceptions dogmatiques de la moralité qui régnaient à l’époque, elle est le symbole terriblement rigide d’un idéal national et politique pathologiquement passioné et, au fond, démagogique. Dans l’œuvre de Mihiz, les frères Jugovič ont marié leur soeur au tsar Lazare au moment le plus tragique de l’histoire serbe, vers 1372, se trouvant ainsi au gouvernail de l’Etat qui s’apprête à affronter l’invincible puissance ottomane qui menace l’Europe. L’ainé des neuf frères, Vojin, est chancelier de l’empire. C’est un politicien qui poursuit un but immédiat et qui n’a ni le temps ni le goût d’entrer dans les cogitations intellectuelles et sceptiques de son père, ou dans le nuancement subtil des idées de sa soeur Vidosava, femme de Strahinja. C’est dans ce milieu compliqué, à cette cour de Kruševac, agitée comme une ruche, où les politiciens forgent l’histoire, que Strahinja arrive. C’est un petit seigneur de ce grand Etat. Il est modeste et sensé, courageux et agile, mais obsolument inconscient du jeu démagogique et politique s qui se joue à la cour et dont les échos nous parviendront un jour sous la forme du poème épique célèbre, entouré de son ' auréole de romantisme pathétique et héroïque. On l’estime