Charles de Butré 1724-1805 : un physiocrate tourangeau en Alsace et dans le margraviat de Bade : d'après ses papiers inedits avec de nombreux extraits de sa correspondence...

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été assommé, il y a huit jours, dans ce château et laissé comme mort. Cela s’est terminé à des contusions et des écorchements sur tout le corps. Après cela j’envoyai chercher M. Conrad * qui vint et voyant mon malheureux état, parut y prendre beaucoup de part et m’assura qu'il allait voir le juge de paix, obtenir punition et qu'il viendrait m'en rendre compte. Depuis ce moment je lui ai écrit les supplications les plus instantes de venir me voir ; il n’a rien répondu et je ne l’ai pas vu. Vous saurez que sa maison est vis-à-vis de la porte du château et qu'il n’a que la rue à traverser pour venir chez moi. Un pareil procédé me tourne la tête et je n’y puis rien concevoir. La charité chrétienne, à ce que je vois, n’est pas la vertu dominante des chrétiens romains...

« Ma servante, au lieu de me secourir, est décampée de la maison et m'a laissé seul, exposé à ce barbare traitement. Ainsi je n’ai pour tout secours aujourd'hui qu’une pareille créature, qui ne sait rien du tout et n’est pas capable de faire cuire un œuf frais, mais comme dans l’état de souffrances où je suis, je ne quitte guère mon lit, et que je ne pourrais supporter d'autre nourriture que de la soupe, il est bien facile dé subvenir à ma substantation. J’attends avec impatience les fêtes de Pâques où de beaux jours et ma santé rétablie me permettront de quitter un lieu où l’on reçoit de pareils outrages sans espoir d'aucun secours ; ce sera véritablement pour moi le jour de la résurrection. »

Il est évidemment difficile, en l'absence d’autres documents, de se rendre compte exactement de la scène qui s’était passée au petit château de Molsheim. Quand on se rappelle que cette localité fut, pendant tout le temps de la Révolution, l’un des centres du « fanatisme contre-révolutionnaire », et que ses habitants étaient d’une intolérance exaltée vis-à-vis de toutes

1 C'était sans doute un propriétaire du voisinage, dont le frère, habi-

tant Strasbourg, est mentionné dans une des lettres de Mme de Balthasar ; peut-être le père de l’amiral de ce nom.