Charles de Butré 1724-1805 : un physiocrate tourangeau en Alsace et dans le margraviat de Bade : d'après ses papiers inedits avec de nombreux extraits de sa correspondence...

=t46 —

ferez dans ce pays demeurera, car les têtes allemandes sont solides ».' Tout cela n’empêchait pas les arrêts continuels, et le 25 décembre 1778, Butré n’avait encore relevé que le cadastre économique d’une trentaine de villages. En continuant à marcher de ce pas, il en avait pour plus d’un siècle, et son humeur, si confiante jusqu'ici, se ressentait de ces contre-temps perpétuels. Lui, autrefois si content et si fier de vivre au milieu de cette cour paisible, écrivait à Mirabeau, le 9 février 1779, d'un ton maussade : « Ï1 n’y a point le moindre petit spectacle ici; il n’est seulement pas permis aux pauvres colons de danser un jour de fête. Seulement une fois par an on leur accorde cette faveur, le jour du patron, mais dans tout autre temps, il n’y a point de capucinière où on mêne une vie plus monotone. Je fais le plus terrible noviciat que je puisse éprouver.* »

Notre économiste tâchait de charmer ses loisirs en se plongeant dans les études philosophiques, dans ces recherches alors à la mode sur l’origine des peuples, des sciences, du langage, etc., où se dépensait en pure perte beaucoup de talent, puisque les beaux esprits qui s’y livraient ne songeaient même pas à étudier patiemment les faits avant de formuler leurs théories. Il nous est resté dans les papiers de Butré un document curieux de la suffisance de l’auteur en ces matières encore aujourd’hui si délicates et si controversées. C’est une lettre qu’il écrivit à Silvain Bailly, le célèbre astronome, le futur premier maire de Paris, l’un des pères de la Consti-

! Lettre. du marquis de Mirabeau. Paris, 7 avril 1778.

* Le 22 décembre de la même année, il écrivait encore : « Je ne connais point de plus affreuse solitude que celle qu’on éprouve dans les palais. Croyez-vous que nous soyons faits pour être calfeutrés dans de vastes appartements, où on fait du jour la nuit, où on passe la moitié des jours à des tables chargées d’apprêts meurtriers, où on ne dit que des inutilités et dont on ne sort que pour se faire traîner dans

des chars? Cette vie hétérogène m’a toujours paru la plus cruelle situation d’un être pensant,» Voici un courtisan bien dégrisé, ce nous semble,