Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875

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projets tendant à assurer l’intérieur du royaume, ou de faire des préparatifs de résistance pour l'époque où nous serions devenus la proie des tyrans ? Était-ce nous défendre, que de choisir des généraux et des ministres qui attaquaient eux-mêmes la Constitution, et d’enchaîner ceux qui la servaient ?.... La Constitution vous laissa-t-elle le choix des ministres pour notre bonheur ou pour notre ruine ? Vous donna-t-elle la direction de l’armée pour notre gloire ou pour notre honte? Vous donna-t-elle enfin le droit de sanction, une liste civile et tant de prérogatives, pour perdre constitutionnellement la Constitution et l’Empire? » Vergniaud termine en demandant qu’on adresse au roi un message pour lui signifier « qu'ayant déjà opte pour la France, il doit hautement, et avec éclat, proclamer l'inébranlable résolution de triompher ou de périr avec elle et la Constitution (1). »

Ce discours était un coup terrible pour la monarchie. Vergniaud l’avait-il donc condamnéeirrévocablementet sans appel? Était-il avec ceux qui conspiraient pour la renverser ? Ah!Messieurs, avant de rompre violemment avec la tradition des siècles, au bord de cet abîme au fond duquel est l’inconnu, et où tant d’autres entraînent avec eux leur pays en s’y précipitant tête baissée, les modérés, les vrais sages ’arrêtent, hésitent et réfléchissent! Ils sont épouvantés au moment du triomphe; et, si le destin leur offrait la réalisation de leurs rêves, ils seraient tentés de refuser! Le même homme qui vient de prononcer à la tribune l'acte d'accusation du roi, écrit au roi pour le conseiller, pour le sauver, s’il en est temps encore, et s’il veut l'être! C’est que Vergniaud, comme Guadet, comme Gensonné, qui signent avec lui cette lettre fameuse (2), —dont le Tribunal

(4) Séance du 5 juillet 1792. (Moniteur des 4 et 5 juillet.)

(2) V. cette lettre, adressée au roi par l'intermédiaire du peintre Boze, le 29 juillet 1792. (Vatel, t.II, p, 121.) Cette lettre, écrite et signée de la main de Vergniaud, a été publiée par l'fsographie, et fait partie de la collection de M. Lalande. Le texte donné par M. Thiers offre quelques variantes.