Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875
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où il trouvait, en même temps que l'oubli passager de son austère labeur, la satisfaction de ses goûts littéraires. Racine et Molière étaient ses dieux. Dans les derniers jours de mai 1793, au moment où toutes les sections, toutes les rues retentissaient de cris de mort contre les Girondins, et où Paris tout entier semblait vouloir s’insurger contre quelques hommes, il allait encore, au théâtre de la République, entendre et applaudir son ami, le grand tragédien Talma. Quelqu'un s'étonnait de l'y rencontrer : « J'ai fait mon devoir, répondit-il; que Paris fasse le sien! »
Sa délicatesse était telle, et son amour de l'indépendance si grand, qu’il était épouvanté et plein de scrupules, à l’idée de visiter un ministre pour faire rendre justice à son beaufrère, auquel pourtant il avait voué une affection profonde et une reconnaissance si bien méritée. Il ne voulait pas « qu'on pût jamais l’accuser d’avoir eu une opinion qui fût le prix d’une faveur (1). »
Il était pauvre , mais, lorsque son père mourut insolvable, il accepta, sans hésiter, sa succession, afin d'en payer les dettes. Chaque année ïil en acquittait une partie, renonçant, pour remplir ce devoir de piété filiale, à l’aisance que l'exercice de sa profession lui eût procurée. Obligé de régler ses dépenses à son arrivée à Paris, il reçut l'hospitalité de Fonfrede et de Ducos, heureux de jouir des charmes de son esprit et de s’éclairer des rayons de sa gloire : il vécut avec eux en frère, car, s’il redoutait les dons du pouvoir, il ne savait pas refuser ceux de amitié.
La Révolution a donné à la France un autre orateur qui à laissé un nom immortel : plus heureux que les Girondins, il «a vu sa popularité ne céder qu’à la mort (2); » les papiers trouvés chez Vergniaud (Arch. nat., F. 7, carton 4644, pièces 697 et suiv.), s’il se rencontre quelques lettres de femmes aimées, on ne découvre aucune trace d'un amour qui certainement en eût laissé.
(4) Lettre du 15 octobre 1791. (Vatel, t. I, p. 164, ne 140. (2) Thiers, Révol. française, t. T, D. 276.