Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875
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profaner sa parole ni prostituer son génie, ét le seul soupcon de vénalité lui eût été insupportable. « Noble de nature, au-dessus de tout intérêt et de tout besoin, personne n'a, plus que lui, honoré la pauvreté (1). » Il fut, en un mot, et par excellence, l’honnête homme habile dans l’art de bien dire.
Voilà ce qu'étaient les deux hommes. Entre les deux orateurs, que de différences encore, et quel contraste !
Le premier, impétueux, fier et hautain, parlant en maître, grand de je ne sais quelle grandeur surhumaine ou sauvage; le second plus égal, modéré jusque dans sa véhémence et dans sa fureur; l’un tout d’une pièce, se développant tout entier dans un sens, avec des proportions étonnantes; l’autre plus mesuré, marchant progressivement, avec ampleur et majesté; celui-là, se répandant en brusques éclats, domine plus qu’il ne pénètre; celui-ci, plein d’une force plus discrète et plus contenue, pénètre plus qu'il ne domine; on retrouve, dans la parole du premier, je ne sais quel ressouvenir des violentes passions qui ont agité sa vie, comme celle du second exprime et reflète « la dignité et l'harmonie d’une âme bien équilibrée (2). » Si Mirabeau a pu être surnommé par son rival, Barnave, le Shakspeare de l’éloquence (3), nous dirions volontiers que Vergniaud en est le Racine.
Mais je me hâte, Messieurs, de mettre un terme à ce discours, heureux s'il'a pu seulement vous inspirer le désir de mieux connaître celui auquel il est consacré.
Vergniaud a rencontré dans notre siècle, au milieu de l'indifférence et du parti pris de l'oublier, quelques admi-
(4) Michelet, Révol. frane., t. HE, p. 332. (2) Ibid. (5) Œuvres de Barnave, t. II, p.64.