Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

LES ÉTATS GÉNÉRAUX. L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE «51

leur Constitution sera faite, il sera bon pour eux de voter parOrdre, mais pour la faire il convient de voter par tête. Ceux qui comprennent le mieux les choses inclinent à mon opinion, mais ce sont des Bretons et l’un d'eux appuie si fortement sur la tyrannie des nobles et altaque si chaudementson «ligue, que les autres tournent, et l’un d’eux, un noble qui représente le tiers, vocifère tellement contre son ordre que: sai la conviction qu'il veut s'élever grâce à son éloquence et qu'il finira, je m’y attends, par voter conformément à l'opinion de la Cour, quelle qu’elle soit. Je leur souhaite très sin-

cèrement d'être en parfait accord et de bien s'entendre entre: eux, et je pars pour Paris !. »

L'opinion qu'exprime ici Morris est remarquable ct faite pour étonner. Nous verrons en effet, qu'il est très attachéaux ordres privilégiés : qu'il veut conserver tout au moins la noblesse avec ses privilèges. C'est un point essentiel de sa doc jrine constitutionnelle. Comment proposa-t-il alors de faire la Constitution en votant par têtes ? Cest là justement le système qui permettra de supprimer tous les privilèges et les débris du régime féodal. Peut-être pensait-1l à ce moment-là. que pour établir en France la liberté constitutionnelle, il fallait la puissance d’une Assemblée unique où le tiers était presque d'avance assuré de la majorité.

L'autre face de son opinion n’est pas moins surprenante. Entendait-il que la Constitution faite, il y aurait, comme le porte la première déclaration du 23 juin 1789, {rois chambres délibérant séparément et dont l'accord serait nécessaire pour prendre une résolution ? Mais comment faire accorder un semblable trio ? Telle n’était pas au fond sa pensée. Ges disputes préliminaires n'avaient pas à ses yeux une très grande. importance, si ce n’est par leur longueur ; car il comptait toujours, nous l'avons constaté ? et nous allons le constater: encore, que le roi interviendrait pour imposer ou proposer une véritable Constitution, qui substituerait aux vieilles formes des États des formes nouvelles et créerait sans doute deux Chambres, à peu près comme le voulait l’évêque de Langres *.

1. TI, p. 76. — 2. Ci-dessus, p. ch. — 3. Ci-dessus, p. g2.