Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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comme Morris le note le lendemain. Mais le r2, c’est autre chose. Il dinait ce jour-là chez le maréchal de Castries. « Comme je me dispose à partir, il me prend à part et m’annonce que M. Necker n’est plus en place. Il est très affecté de cette nouvelle et je le suis également. Je le presse d'aller immédiatement à Versailles. Il me dit qu'il nele fera pas, que sans aucun doute ils ont déjà pris leurs mesures et que, par suite, il doit être trop tard. Je lui dis qu’il n’est pas trop tard pour avertir le roi du péril qu'il court, lequel est infiniment plus grand qu'il ne l’imagine ; que son armée ne voudra pas se battre contre la Nation et que, s’il écoute des conseils de violence, la Nation, sans aucun doute, sera contre lui; que l'épée est tombée imperceptiblement de ses mains et que la souveraineté du pays est dans l’Assemblée nationale. Il ne fait à cela aucune réponse précise, mais est profondément affecté !. »

Dans la soirée il va chez Mme de Flahaut. « J’apprends que le ministère tout entier est chassé et Necker banni. Ici on est très alarmé. Paris commence à s’agiter et quelques membres de la noblesse prennent un tambour aux invalides qui sont de garde au Louvre et battent aux armes. M. de Narbonne. l'ami de Mme de Staël, considère une guerre civile comme inévitable et se dispose à rejoindre son régiment, sentant, comme il le dit, un conflit entre son devoir et sa conscience. Je lui dis que je ne connais pas d’autre devoir que celui que dicte la conscience ?. ».

À cet essai de coup d'État, Paris allait répondre par la prise de la Bastille et Morris, on le voit encore par sa réplique à Narbonne, était avec Paris et avec l’Assemblée nationale.

Il a noté quelques scènes pittoresques de ces journées mémorables. Dès le 12 au soir, il ÿ a des commencements d'émeutes. « Passant en voiture sur les boulevards, je vois tou à coup voitures, chevaux et piétons revenir sur leurs pas el passer rapidement. Puis nous rencontrons un corps de cavalerie, sabre au clair, qui arrive à demi-vitesse. Un moment après qu'ils sont passés, ils s'arrêtent. Lorsque nous arrivons à la place Louis Quinze je remarque que le peuple, au nombre

1 TI, p. 219, 120. — 2, T. I, p. 120.