Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

158 . GOUVERNEUR MORRIS

parti de l'entretenir volontairement: « On désapprouve surtout, dit-il, le tableau des désordres des provinces et la demande que fait ce roi du rétablissement du pouvoir exécutif. Sur ce dernier point ces messieurs (les enragés) pensent qu’il n'est pas encore temps de contenir le peuple dont l’insurrection a été le grand instrument de la liberté et que la terreur inspirée aux nobles et aux prêtres par les pillages et les incendies est encore nécessaire pendant quelque temps à l’établissement de la Constitution !. » Mais l’anarchie avait aussi une autre cause, antérieure et peut-être plus profonde, dont la monarchie absolue et non pas l’Assemblée nationale était responsable. C'était cette crise incroyable qui dura pendant les mois de mai, juin et juillet 1788, pendant laquelle on avait vu tous les parlements en lutte contre le pouvoir royal et refusant de rendre la justice, tous les autres corps du royaume, la noblesse des provinces, les Etats provinciaux, le clergé, s’associant à leur résistance, des villes chassant leur gouverneur ou lui dictant leurs conditions, sans que le pouvoir royal intervint efficacement ?. C'était lui qui s'était montré d’abord incapable et sans force. Les désordres n'avaient point cessé bien entendu, par la seule nomination de Necker * Voilà devant quel état de choses l'Assemblée nationale s'était trouvée; voilà les maux qu'elle devait chercher à réparer. Malgré ses erreurs, son inexpérience, elle ne sembla pas d’abord trop au-dessous de cette gigantesque tâche. Écoutons ce que disait à la tribune le 13 juillet 1789, un homme dont le témoignage n'est pas suspect, Lally-Tollendal: « Je vous présenterai un simple tableau et vous demanderai de vous reporter au mois d'août de l’année dernière. Le roi était trompé. Les lois étaient sans ministres et 25 millions d'hommes sans juges. Le trésor public sans fonds, sans crédit, sans moyens pour prévenir une banqueroute générale dont on n'était plus séparé que par quelques jours. L'autorité, sans respect pour la liberté des particuliers et sans force pour maintenir l’ordre public. Le peuple sans ressource que les États

1. Op. cil., p. 295. — 2. Marmontel. Mémoires, t. HI, p. 148 et suiv. 3. Mallet-du-Pan, Mémoires, t. I, p. 154-6.