Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

MORRIS RENTRÉ AUX ÉTATS-UNIS 357

JR

fermes que jamais : « Une chose est certaine : la démocratie ne peut pas durer. C’est moins un gouvernement que la dissolution du gouvernement, étant, en réalité, la mort naturelle des républiques, de sorte qu'au fond il n'y à que deux formes de gouvernement, le monarchique et l’aristocratique. Que l’un ou l’autre réste sans mélange, cela est à peu près impossible. Le despote doit employer beaucoup de gens qui à la fois refréneront et dirigeront son pouvoir, et le Sénat le plus habile ne peut pas éviter d'accorder à des individus une part considérable d'autorité. De plus, que la complexion d'un gouvernement soit monarchique ou aristocratique, il ne peut pas faire grand’chose s'il n'est soutenu par le sentiment populaire !. »

Mais justement il croyait trouver dans la démocratie américaine certains éléments d’aristocratie qui, chose curieuse, lui paraissaient fournis par le suffrage universel. Il s'agissait, bien entendu, de l'aristocratie de la fortune : « Le trait aristocratique le plus fort dans notre organisation politique est celui auquel les démocrates sont les plus attachés, le droit de suffrage universel. Il fait perdre aux hommes de fortune moyenne leur propre poids, et dans le cours du temps il donnera aux grandes fortunes une influence à laquelle elles n'ont pas droit. Je sais que cet effet ne s’est pas encore produit et je sais pourquoi, mais il semble qu'un état de choses différent est proche ?. » Je ne saurais dire si la prévision de Morris a été juste pour l'Amérique ; mais, dans d’autres pays de suffrage universel, il semble bien en effet, qu'en dehors des candidats socialistes, ce sont les hommes riches qui, presque seuls, se présentent aux élections.

Le précédent qui affligeait le plus Morris, et qui lui paraissait contenir en germe la ruine de la Constitution, était un acte législatif accompli devant lui et malgré lui pendant qu'il siégeait au Sénat. La Constitution fédérale, à l'élaboration de laquelle il avait travaillé, avait créé, on le sait, un pouvoir judiciaire parfaitement distinct des deux autres pouvoirs. Elle en avait, de parti pris, fait le gardien principal de ses dispositions, en lui reconnaissant le droit de ne point appliquer les

1 LU purs, 3 00 Il, p.28.