Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

PENDANT LA RÉVOLUTION. 3

dans l'état social, devait enthousiasmer deux jeunes provinciaux, passionnés comme tout le monde à cette époque pour les idées nouvelles.

Les deux voyageurs, enchantés de leur sort, se mettent en route au commencement de décembre. Leurs moyens ne leur permettant pas de louer une voiture pour eux seuls, ils prennent modestement la voiture commune, c'est-à-dire la diligence {, connue aussi sous le nom de « Turgotine »?; comme ils partent de la campagne de M. Géraud, située à quelque distance de la ville, ils vont rejoindre la diligence à Cubzac, où un premier malheur leur arrive. En traversant la Dordogne, le batelier négligent laisse tomber dans la rivière la valise qu'ils emportent avec eux; on la rattrape à grand'peine; mais, hélas ! toute cette garderobe si soignée, si bien préparée par une mère vigilante, est grandement endommagée. Pour comble d'infortune, Edmond, fort épris de peinture, n'a eu garde d'oublier ses couleurs; elle ont fondu sous l’action dés flots et tous ses effets ont pris les teintes de l’arcen-ciel. Bien loin de tourner au tragique leur mésaventure, nos jeunes gens en rient de bon cœur et n’en montent pas moins gaiement dans l'intérieur de la voiture publique qui les prend au passage. Ce

1. La diligence coûtait seize sous par lieue. La chaise de poste ou le cabriolet étaient beaucoup plus chers.

2. La diligence fut ainsi nommée quand Turgot donna aux Messageries du royaume un privilège exclusif.