Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

JOURNAL D'UN ÉTUDIANT PENDANT LA RÉVOLUTION. 309

Ces nouvelles causèrent à Paris une très vive émotion ; l'ennemi pouvait être dans six semaines sous la capitale ! À la Cour, on comptait fermement sur son arrivée prochaine et l'on estimait que l'heure de la délivrance était proche.

La Reine avouait à ses femmes ses vœux ef ses espérances. «Une nuit, dit Mme Campan, que la lune éclairait sa chambre, elle la contempla, et me dit que dans un mois, elle ne verrait pas cette lune sans être dégagée de ses chaines. Elle me confia que tout marchait à la fois pour la délivrer. Elle m'apprit que le siège de Lille allait se faire, qu'on leur faisait craindre que, malgré le commandant militaire, l'autorité civile ne voulût défendre la ville. Elle avait l'itinéraire des princes et des Prussiens : tel jour, ils devaient être à Verdun, et tel jour à un autre endroit. Qu'arriverait-il à Paris ? Le Roi n'était pas poltron, mais il avait peu. d'énergie « : Je monterais bien à cheval, disait-elle encore, mais alors j'anéantirais le Roi... »

Les nouvelles les plus inquiétantes circulaient dans le peuple. On répétait à l'envi que le Roi était d'accord avec l'ennemi, qu'il paralysait volontairement l'action de nos armées, qu'il usait de son veto pour déjouer toutes les mesures de l’Assemblée, en un mot qu'il trahissait son pays. Les secrètes menées de la Cour, qu'on soupçonnait sans les connaître positivement, effrayaient les efprits, les surexcitaient ; l'exaspération était portée à son comble.