Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)
PENDANT LA RÉVOLUTION. : 377
l’insouciance profonde avec laquelle la population a assisté au supplice :
« Est-ce bien le même homme que je vois bousculé: par quatre valets de bourreau, déshabillé de force, dont le tambour étouffe la voix, garrotté à une planche, se débattant encore, et recevant si mal le coup de la guillotine qu'il n'eut pas le col mais l'occiput et la mâchoire horriblement coupés?
« Son sang coule; les cris de joie de 80 000 hommes armés ont frappé les airs et mon oreille; je vois les ‘écoliers des quatre nations qui élèvent leurs chapeaux en l'air. Son sang coule, c'est à qui y trempera le bout de son doigt, une plume, un morceau de papier; l’un le goûte et dit : il est bougrement salé! Un bourreau sur le bord de l'échafaud vend et distribue de petits paquets de ses cheveux. J'ai vu défiler tout le peuple se tenant sous le bras, riant, causant familièrement, comme lorsqu'on revient d'une fête.
« Aucune altération n'était sur les visages. Le jour du supplice ne fit aucune impression. Les spectacles s'ouvrirent comme de coutume; les cabarets du côté de la place ensanglantée vidèrent leurs brocs comme à l'ordinaire; on cria les gâteaux et les petits pâtés autour du corps décapité. »
Le séjour d'Edmond et de John au camp de Toulouse avait exalté leur patriotisme. Ces jeunes gens, qu'animaient toujours les plus nobles sentiments, s'indignaient de demeurer dans l’inaction alors que beau-