Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)
PENDANT LA RÉVOLUTION. 57
de sa voix splendide, mais elle forme encore ses compagnes, et, sous sa direction, les chants de l’église deviennent admirables ; c’est particulièrement aux offices de la semaine sainte que les religieuses font entendre leurs voix séraphiques. Aussitôt le bruit s'en répand et tout Paris lance ses carrosses dorés à travers les routes du bois pour assister aux Ténèbres de Longchamps. Il n'en faut pas davantage, la mode est créée, et chaque année, le mercredi, le jeudi et le vendredi saints, l’on voit défiler une suite interminable de carrosses qui se rendent à l’abbaye.
Tout le monde élégant veut faire partie de cette réunion, les courtisanes s’en mêlent et on les voit bientôt en carrosses à six chevaux, couvertes de pierreries, étalant audacieusement un luxe avec lequel les dames de la cour s'efforcent en vain de rivaliser. C’est à qui fera admirer la plus magnifique voiture, les chevaux les plus fringants, la livrée la plus belle. Cette pieuse promenade n’est plus qu'une indécente exhibition. L'archevêque croit faire cesser le scandale en interdisant aux religieuses le chant et la musique. Il n’en est rien. La mode est établie et persiste. La promenade s'accomplit aux mêmes jours et dans les mêmes conditions que par le passé, seulement l'on ne va plus que jusqu’à la porte du couvent et l'on se garde d'y entrer. L'église est déserte, mais les cabarets sont pleins et Le peuple, qui vient en foule assister à cette parade, boit et s'enivre de son mieux : « Et