"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE PREMIER.

hommes studieux et zélés pour la science, qui sont partout l’élite des peuples, et que l’lllyrie compte par centaines 1 »; il soumit même au comte Bertrand l’idée de créer une Académie libre illyrienne'A Ses amis lui avaient communiqué certains livres italiens où il y avait bien des choses à apprendre : en particulier « les savants mémoires d’Appendini sur les antiquités de Raguse et la littérature illyrienne 3 », mémoires d’après lesquels il traduisit, dans son quatrième article (20 juin 1813), le Ver luisant d’ignacio Giorgi, petit poème d’lgnace Gjorgjic, poète ragusain ; il devait en donner plus tard une nouvelle traduction 4 . Il y a dans nos Alpes helvétiques, disait-il dans un de ces articles qui sont toujours agréables à lire 5 , des chansons simples et touchantes, qui ne consacrent pas le souvenir des grandes guerres, comme celles du fils de Fingal, parce que la guerre a rarement troublé la paix des chalets, mais qui peignent merveilleusement les sentiments les plus doux de l’homme et qui ne le cèdent point du tout sous ce rapport aux plus beaux chants de l’Homère de Selma. Je retrouve le même genre de poésie dans tout ce qui reste des traditions illyriennes, à cette différence près que la pureté du ciel, la beauté des productions, la grandeur des souvenirs et l’heureux voisinage de la Grèce ont dû donner au barde des Alpes Juliennes une foule d’inspirations. que le nôtre n'a pas reçues. Qu’on se représente d’abord le chantre morlaque, avec son turban cylindrique, sa ceinture de soie tissue à mailles, son poignard enfermé dans une gaine de laiton garnie de verroterie, sa longue pipe à tube de cerisier ou de jasmin, et son brodequin tricoté, chantant le pismé ou la chanson héroïque en s’accompagnant do la guzla, qui est une lyre, à une seule corde composée de crins de chevaux, entortillés. C’est ordinairement après les premières heures du soir que le Morlaque se promène sur la monta-

1 Ch. Nodier, Souvenirs et portraits, p. 314. - « L’évacuation de la province arriva trop vite, dit-il, pour l’exécution de ce plan. » Journal des Débats du 1" février 1815. 3 Francesco-Maria Appendini, Notizie istorico-criliche suite antichilà, storia e létteratura de' Ragusei, Raguse, 1802-03, 2 vol. in-4°. 4 Voir ci-dessus, p. 73, et ci-dessous, pp. 105-106. 6 Nous citons d’après les mélanges de littérature et de critique de Nodier.