"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE PREMIER.

des rochers inaccessibles et par des mœurs particulières que le contact des autres peuples n’a point corrompues. Je savais la langue des Monténégrins. Je m’étais entretenu avec quelques-uns d’entre eux, quand des besoins qui ne s’accroissent jamais, et qui ne changent jamais de nature, en avaient amené par hasard dans nos villes. Je me faisais une douce idée de la vie de ces sauvages qui se suffisent depuis tant de siècles, et qui depuis tant de siècles ont su conserver leur indépendance en se défendant soigneusement de l’approche des hommes civilisés. En effet, leur situation 'est telle que nul intérêt, nulle ambition ne peut appeler dans leur désert cette troupe de brigands avides qui envahissent la terre pour l’exploiter. Le curieux seul et le savant ont quelquefois tenté l'accès de ces solitudes, et ils y ont trouvé la mort qu’ils allaient y porter (sic) : car la présence de l’homme social est mortelle à un peuple libre qui jouit de la pureté de ses sentiments naturels. Malgré toute cette misanthropie, Antonia aime plus que jamais cet inconnu qu’elle croit victime d’une des révolutions qui bouleversaient l’Europe de 1808. Mais Lothario refuse sa main et lui écrit qu’il ne la reverra jamais. Après d’aussi brusques adieux, les deux soeurs quittent Venise pour l’lllyrie, où Antonia espère que Lothario la rejoindra. En route, elles sont attaquées par la troupe de Jean Sbogar. M me Alberti meurt d’un coup de feu ; Antonia évanouie est transportée au château de Duino. Elle y devint folle, mais les égards et le respect qu’avait pour elle Jean Sbogar notons que la tête de celui-ci était toujours voilée d’un crêpe noir et que personne ne connaissait son visage commencèrent à lui procurer quelques moments lucides pendant lesquels elle put réfléchir sur son état. Un jour, le canon gronda aux environs du château. Bientôt un cliquetis d’épées annonça à la jeune fille que l’on se battait à l’intérieur même des murs. Les troupes françaises poursuivaient sans relâche les brigands qui infestaient le pays. Elles venaient d’entrer dans le repaire de Jean Sbogar. Tout à coup, Antonia