"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE PREMIER.

suis Jean Sbogar ! » —«Lothario! Lothario! » «Jean Sbogar! » répéta-t-il avec force. « Jean Sbogar! » cria Antonia. « 0 mon dieu ! » et son cœur se brisa. Elle était par terre immobile ; elle avait cessé de respirer. Un des sbires souleva sa tête avec la pointe de son sabre, et lui laissa frapper le pavé en l’abandonnant ù, son poids. « Cette jeune fille est morte », —dit-il. « Morte », reprit Jean Sbogar en la considérant fixement. « Marchons ! » Jean Sboga?’ parut sous le couvert de l’anonymat au mois de mai -1818. quatre ans et demi après que Nodier fût revenu de Laybach 1 . Il eut d’abord ce que l’on appelle aujourd’hui une mauvaise presse, malgré l’artifice qu’avait imaginé son auteur pour exciter l’intérêt du public. Sur ce point, encore mal éclairé, nous relevons dans le Journal de Paris du 20 juin 1818, cette curieuse note : Les éditeurs de cet ouvrage nous apprennent, dans une espèce d’avertissement mystérieux, que l’auteur leur avait envoyé son manuscrit au moment où il se disposait à franchir l'espace qui le séparait encore de la Russie. Depuis la publication de ce roman, une note insérée le même jour dans tous les journaux prouve que l’on a voulu profiter de cette circonstance pour attribuer Jean Sbogar à M"“ de Krudener. Cet artifice était trop grossier pour réussir ; comment, en effet, le lecteur aurait-il pu confondre la mélancolie douce et suave, les sentiments pudiques, les pensées religieuses qui distinguent l’auteur de Valérie, avec cette misanthropie farouche, cet amour forcené d’un brigand pour une femme dont la tendresse est plus bizarre encore, avec des aventures extravagantes qui renchérissent sur les ténébreuses productions d’Anne Radcliffe, en un mot, avec Jean

1 Jean Sbogar, Paris, Gide fils, 1818, 2 vol. in-12, pp. vi-234 et ff. 2, pp. 229-vi. Publié à 5 francs. 2 Quelques jours plus tard, le Journal du Commerce (6 juillet 1818) indiquait M. Ch. Nodier comme hauteur probable de Jean Sbogar, en ajoutant : « L’éditeur de ce roman nous annonce dans sa préface que cet auteur part pour la Russie; puisse celte contrée tempérer un peu