"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LES ILLYRIENS AVANT « LA GUZLA ».

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nom dalmate, mais un nom tchèque. Nodier, qui aimait les vieux bouquins, le découvrit sans aucun doute, sur la couverture du Théologien radicalis par Jean Sbogar (Prague, 1698 et 1708). En Illyrie, Nodier n’a vu que des choses toutes extérieures : le pays et les costumes, et il en a donné de très jolies descriptions dans son roman. Une trentaine d’années plus tard, Gérard de Nerval, visitant la Dalmatie, écrira en ces termes à un ami : Je t’éeris en vus de Trieste, ville assez maussade, située sur une langue de terre qui s’avance dans l’Adriatique, avec ses grandes rues qui la coupent à angles droits et où souffle un vent continuel. Il y a de beaux paysages, sans doute, dans les montagnes sombres qui creusent l’horizon ; mais tu peux en lire d’admirables descriptions dans Jean Sbogar et dans Mademoiselle de Marsan de Charles Nodier; il est inutile de les recommencer 1 . Il aura raison, le malheureux Gérard : les descriptions de Nodier sont ce qu’il y a de plus beau et de plus vrai dans le genre, malgré leur vague écossais. Personne ne savait reproduire avec plus de grâce et plus de bonheur que l’auteur de Jean Sbogar, les sentiments qu’éveille en nous la vue d’un paysage. Hélas ! c’est tout ou presque tout ce qu’il y a de « couleur locale » dans son roman 8 ; car, si Nodier asu voir et décrire la

1 Gérard de Nerval, Voyage en Orient, Paris, 1851, t. I, p. 58. - Une citation fantaisiste du poète ragusain Gondola (Gundulic) figure en tête du chapitre il de Jean Shogar. Dans ce chapitre se trouve également le très intéressant portrait d’un vieux chanteur illyrien, dont nous reparlerons ailleurs. Dans le cinquième, Nodier définit le pismé dalmate: < sorte de romance qui n’estpas sans charme quand l’oreille y est accoutumée, mais qui l’étonne par son caractère extraordinaire et sauvage quand on l’entend pour la première fois, et dont les modulations sont d’un goût si bizarre que les seuls habitants du pays en possèdent le secret ». Dans le septième chapitre, Jean Sbogar chante à Antonia « la fameuse romance de l’inemone, si connue à Zara », qui est « la production la plus nouvelle de la poésie morlaque ». Cette romance, nous n’avons pas besoin de le dire, n’est pas plus authentique que les ballades de Mérimée.