"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE PREMIER.

-t-il tué ? Peut-être, mais à son corps défendant. Au reste, je n’en répondrais pas. Tout ce que je sais de lui, c’est que c’est un brigand fort intelligent et fort résolu, dont le nom revient souvent dans la conversation du peuple. Assez, reprit le duc d’Otrante en jetant le dossier dans la corbeille, etc. 1 Les biographes de Nodier crurent à cette histoire. Émile Montégut, dans sa belle étude qui reste toujours la première à consulter, affirme que Nodier avait « suivi de près les exploits et le procès de Jean Sbogar 2 » ; de même que, dans son livre extrêmement intéressant sur Charles Nodier et le groupe romantique, M. Michel Salomon, ne se doutant pas combien sont suspectes les prétendues « pièces de la procédure » de « l’honnête M. Repisitch », alla jusqu’à proclamer Jean Sbogar « roman documentaire avant l'invention de ce mol 3 » ! Sainte-Beuve lui-même, qui, pourtant, connaissait très bien son « biographié », se laissa tromper et n’hésita guère à dire, parlant du séjour de Nodier en Illyrie, que « Jean Sbogar et Smarra et Mademoiselle de Marsan furent, dès cette époque [avers 1811 »], ses secrètes et poétiques conquêtes 4 ». Il nous reste, à examiner maintenant à quel point Nodier a su pousser la « couleur locale » dans la peinture qu’il a faite de son poétique aventurier dalmate, ce prétendu « personnage historique, dont la renommée aventureuse remplit encore les Étals vénitiens ». D’abord, le nom même de son héros n’est pas un

1 Gh. Nodier, Souvenirs de la Révolution et de l’Empire, Paris, 1850, t. 11, p. 328. 2 É. Montégut, Nos Morts contemporains, Paris, 1883, t. T, p. 141. 3 M. Salomon, Charles Nodier, et le groupe romantique, Paris, 1908, p. 267. 4 Sainte-Beuve, Portraits littéraires, Paris, 1862, t. I, p. 472.