"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE PREMIER.

Dans quelle mesure Smarra fut-il un pastiche de l’Ane d’Orl C’est ce que nous ne pouvons décider, mais il nous semble que même au cas où l’on pourrait prouver qu’il y a imitation, la principale question n’est pas là. Peu importe, en effet, que la fantaisie de Nodier se trouve apparentée à la fiction antique alors que l’écrivain ne faisait après tout que satisfaire au goût de l’époque. M. André Le Breton, dans sa remarquable étude sur Balzac, a déjà rattaché d’une façon péremptoire la nouvellede Nodier à cette « école de cauchemar » ou « genre frénétique » qui florissait en France de 1820 à 1.830 1 . Smarra était le descendant direct de la littérature d’épouvante inaugurée en Angleterre vers 1794 par Mrs. Anne Radcliffe (1764-1823) 2 ; par M. G. Lewis (1775-1818), auteur du Moine (que Nodier cite en tète du chapitre VI de Jean Sbogar) et éditeur des Histoires terrifiantes, recueil de ballades anglaises et étrangères 3 ; enfin, par l’lrlandais Ch. Robert Maturin (1782-1824), auteur de Melmoth le vagabond, bizarre écrivain dont Nodier traduisit , avec son ami Taylor, la tragédie de Bertram (1821) i . Malgré son caractère peu français, le « genre frénétique » obtint en France un succès fou et contribua, pour une part, au développement du roman réaliste. Balzac lui paya son tribut dans

1 André Le Breton, Balzac, l’homme et l'œuvre, Paris, 1905, pp. 57 et 70. Cf. aussi Byron et le romantisme français, par Edmond Eslève, Paris, 1907, p. 491 etsuiv. - Sur Anne Radcliffe et son influence, voy. History of Romanticism in theXVIIIth Cenlury by Henry A. Beers, pp. 249-264. 3 Cf. H. A. Beers, op. cil., pp. 404-410 et passim. F. Baldensperger, Le « Moine » de Lewis dans la littérature française (Journal of comparative Literature, juillet-septembre 1903). 4 Sur Maturin, voy. les Portraits littéraires de Gustave Planche. Victor Hugo elle Berlram en tête de son ode la Chauve-Souris.