"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LES ILLYRIENS AVANT « LA GUZLA ».

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s’étendre, et soulever une tête écumante et terrible jusqu’au nid de ses petits. Ainsi chante le- divin vieillard devant le château du terrible « chef de mille heyduques farouches ». Aucun de ses ennemis ne comprend la vieille chanson; seule, sa petite-fille captive saisit les paroles tristes du morlaque ; elle court et se précipite vers la « palissade impénétrable des jardins de Zetim ». Le vieux bey laisse tomber sa gusla, il dégage de sa ceinture multicolore son hanzar redoutable et, à travers les barres de fer, tue sa petite-fille et se laisse, à son tour, tuer par ses ennemis pour sauver sa tribu menacée. « Et, ajoute le poète, l’histoire du bey Spalatin, de sa petite-fille morte et de sa tribu délivrée, est la plus belle qui ait été jamais chantée sur la guzla. » Nous ne savons s’il est besoin de dire que cette « romance nationale morlaque » est une pure invention de Nodier ; car, il faut le reconnaître, la « couleur locale »du Bey Spalatin est sensiblement supérieure à celle de Jean Sbogar. En effet, son héros n’est plus ce bandit-gentleman au menton glabre, musicien, peintre, polyglotte, qui mène une double vie dans la haute société vénitienne et sur les chemins malfamés dalmates. Si nous ne retrouvons pas dans le Bey Spalatin les heyduques authentiques de la ballade serbo-croate : ces brigands vulgaires qui sont sympathiques au chanteur national parce qu’ils sont amis du pauvre, bons chrétiens et ardents patriotes; si nous n’y rencontrons pas davantage les heyduques fantaisistes de Mérimée : gaillards moustachus, durs et féroces, nous avons en revanche des hommes qui leur ressemblent par cette soif instinctive de carnage et de vengeance qui subsiste même sous le vague et le pompeux qui les enveloppe, sous l’air « divin » et « majestueux » que leur donne