"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LA BALLADE POPULAIRE AVANT « LA GUZLA ».

139

poésie naturelle, celle qui précède les lumières. La littérature cultivée devient, si promptement factice, qu’il est bon de retourner quelquefois à l’origine de toute poésie, c’est-à-dire à l’impression de la nature sur l’homme, avant qu’il eût analysé l'univers et lui-même. La flexibilité de l’allemand permet seule peut-être de traduire ces naïvetés du langage de chaque pays, sans lesquelles on ne reçoit aucune impression des poésies populaires ; les mots, dans ces poèmes, ont par eux-mêmes une certaine grâce qui nous émeut comme une fleur que nous avons vue, comme un air que nous avons entendu dans notre enfance : ces impressions singulières contiennent non seulement les secrets de l’art, mais ceux de l’âme où l’art les a puisés. Les Allemands, en littérature, analysent jusqu’à l’extrémité des sensations, jusqu’à ces nuances délicates qui se refusent à la parole, et l’on pourrait leur reprocher de s’attacher trop en tout genre à faire comprendre l’inexprimable 1 . Puis, elle passa aux autres ouvrages de Herder qui l’intéressaient davantage. Henri Heine, qui entreprit plus tard de compléter, dans un nouveau livre De l’Allemagne, les informations littéraires de M me de Staël, reprocha vivement à son illustre devancière d’avoir si peu parlé de la poésie populaire et du culte qu’ont les Allemands pour ce genre 2 . Les Espagnols, les premiers, eurent les honneurs d’une traduction de leurs poésies nationales en français : au mois de juillet 1783, la Bibliothèque universelle des Romans avait publié un choix de romances relatives au Cid, choix qui aurait dû beaucoup intéresser les admirateurs toujours nombreux de Corneille. Mais cette traduction passa presque inaperçue, et l’Espagne attendit le jour où, mieux connue, elle serait plus justement estimée. Les guerres de Napoléon d’abord, et plus tard le succès du Dernier des Abencérages et de Don Juan vont contribuer puissamment à remettre en faveur le pays de GU B las.

1 M"’ de Staël, De l'Allemagne, 2" partie, ch. xxx. 2 Henri Heine, De l’Allemagne, t.l, pp. 316-317.