"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LA BALLADE POPULAIRE AYANT « LA GUZLA ».

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de force et plus de vérité ; toutes celles qui ne sont composées en vue de quelque jour de fête sont ainsi pleines d'allusions à la vie de famille et traduisent avec une admirable fidélité-les événements et les sentiments de tous les jours. De toutes les anciennes chansons que l’on chante dans des circonstances déterminées, les plus curieuses sont les chansons de mariages. Elles décrivent les diverses cérémonies du mariage slave, et nous nous heurtons ici à une de ces contradictions qui abondent dans le monde moral et qui troublent le philosophe. Toutes les cérémonies symboliques rappellent avec beaucoup de netteté le triste état d’esclavage et d’abaissement auquel le mariage condamne la femme slave, les jeunes filles sont plus libres et plus heureuses que les femmes, et si elles sont jolies et laborieuses, on les traite avec respect, on leur fait même la cour, et cependant les chansons qui accompagnent ces cérémonies symboliques grossières, barbares, avilissantes, sont pleines de délicatesse et de joie, presque recherchées dans l’expression de l’amour. Différents indices prouvent que, comme les chansons russes de même ordre qui offrent d’ailleurs avec elles tarit de ressemblances, elles remontent à une époque fort reculée. Comme les chansons russes aussi, elles ne renferment aucune allusion aux rites de l'Église. Les piesmas héroïques serbes produisent pourtant une impression plus profonde encore. Légendes simples ou récits compliqués, ces chansons si nombreuses nous révèlent le véritable caractère de la poésie épique populaire, les lois de sa naissance et de son développement, la force naturelle de l’imagination d’une nation, alors que l’art n'est venu encore ni la contenir ni la régler. A ce point de vue, les Serbes sont un exemple tout à fait unique ; aucun des peuples modernes ne saurait se vanter d’une pareille fécondité poétique ; ils / ont jeté une lumière toute nouvelle sur les gigantesques créations des anciens. Il n’y a donc aucune exagération à dire que la publication des ballades serbes est un des plus grands événements littéraires des / temps modernes. Un caractère général des piesmas c’est leur puissance objective et plastique. Presque toujours, le poète domine de haut son sujet. La vigueur du dessin fait ressortir les points importants du tableau, les couleurs n’en sont pas éclatantes, mais solides et claires ; le lecteur n’a besoin ni d’explication ni d’effort, il voit de ses propres yeux. Si l’on compare les ballades serbes à celles qu’ont créées jadis les autres peuples slaves, on reconnaît aussitôt la supériorité des premières... Quand ils nous représentent leurs compatriotes combattant leurs ennemis mortels et leurs oppresseurs, les Serbes trouvent des accents aussi émus, aussi passionnés que ceux que les Grecs inspiraient à Homère... Dans les chansons lyriques, ce qu’il faut admirer, ce n’est pas tel ou tel détail heureusement trouvé, c’est le charme de l’ensemble, le récit clair et bien ordonné, l’habileté et l’art avec lesquels le 11