"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LA BALLADE POPULAIRE AVANT « LA GUZLA ».

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Ce n’est pas que les traits généraux, propres à la nature humaine et la vérité de sentiment, ne se retrouvent dans les poésies des peuples dont nous parlons : mais leur expression est essentiellement différente. Il y a des actes de grossièreté, de rudesse, de violence, racontés dans les chants des Serbes comme dans ceux des Germains : mais toujours, chez les premiers, les récits de ces faits sont relevés par la noblesse et la dignité du style, tandis que, chez les autres, leur expression âpre et sauvage n’est jamais adoucie. Sous ce rapport, à en juger par les poèmes des Serbes, la culture de l’esprit paraît généralement plus avancée parmi les Slaves que chez les peuples de la Germanie. Cette observation, bien entendu, ne porte nullement sur la civilisation, sur la littérature et sur les arts ; car, si nous comparons l’état de ceux-ci avec les progrès faits à cet égard par les nations allemandes, les arts paraissent dans l’enfance chez tous les Slaves, et particulièrement chez les Serbes. Mais il s’agit d’une manière générale d'être, de se mouvoir, de sentir, propre à la masse des peuples ainsi comparés >. A Strasbourg, la Bibliothèque allemande (plus tard Revue germanique'), journal de littérature, publié par MM. H. Barthélemy et G. Silbermann, consacrait également une notice à la traduction de M lle von Jakob (juin 1826). Ce recueil a dissipé l’obscurité qui régnait en Allemagne, y disaiton, sur la nation des Serves (sic), en montrant que, malgré le joug des tyrans qui oppriment cette peuplade antique, et malgré' l’état sauvage auquel un despotisme barbare l’a réduite, elle a toujours conservé l’amour de la poésie, et qu’elle aime retracer dans ses chants le souvenir des hauts faits de ses ancêtres. Ce peuple est doué d’une grande force d’imagination, de beaucoup de jugement; il chérit avec enthousiasme la gloire que ses anciens héros se sont acquise. La douceur des sentiments qui règne dans sa poésie et qui approche de la mélancolie, ne doit pas sembler étrange, si l’on se rappelle qu’il appartient à la grande famille des Slaves, dont toutes les compositions ont toujours respiré la mollesse, dans la musique comme dans les paroles. Les chants publiés par Talvj ne sont pas le fruit de la méditation : une improvisation naturelle qui les a créés ; conservés par les traditions, ils ont peut-être subi plusieurs changements, qui dépendaient du caractère dé ceux qui les chantaient. Les petits cantiques reten-

1 Premier article, pp. 258-260.