"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE 11.

lissent encore dans les réunions des filles occupées de leurs travaux ; elles y ajoutent des vers où elles expriment leurs plaintes amoureuses, leurs plaisirs et les sentiments divers qui les dominent. Les morceaux plus étendus, qui retracent des traditions historiques, sont chantés par les hommes assemblés en festins ; ils contiennent jusqu’à deux cents vers 1 . La poésie est une fidèle image du caractère national des peuples parvenus à un certain degré de civilisation, quand l’individualité n’est pas encore confondue avec les formes abstraites de la pensée. Les chants des Serviens peignent particulièrement les plaisirs qui sont le prix de la valeur et de la victoire ; on y trouve des sentiments nobles et généreux ; des traits de barbarie et même de perfidie. On y voit le goût des vengeances particulières, et, surtout, des idées singulières de l’honneur et des convenances sociales. Quelques morceaux sont consacrés à chanter des sujets religieux, tels que des conversions à l’islamisme ; l’amitié y est peinte sous des couleurs vives et fortement tracées, et l’amour mieux célébré qu’on ne devait l’espérer chez un peuple qui n’accorde que peu de droits aux femmes ; les poésies de cette nation diffèrent de celles des autres peuples slaves, en ce qu’elles ne donnent pas la préférence à la couleur nationale, mais bien à la blancheur de la peau (sic) 2 . Trois mois plus tard, le GlobeyaxXa. de la revue strasbourgeoise et lui reprocha d’avoir trop sommairement présenté les ballades serbes : Cette livraison peut nous fournir quelques nouvelles littéraires de l’Allemagne... La première partie d'une traduction des Chants populaires des Serviens a paru à Halle. On l’attribue à M Uo de Jacob, fille du conseiller d’État et professeur de Jacob. Ce n’es t que depuis peu d’années que l’on s’occupe en Allemagne de la littérature des Serbes. Le célèbre Herder, dans son recueil de Chants populaires (1777), et Goethe, par son imitation de Asan-Aga, ont les premiers fixé les regards sur le génie poétique de cette tribu de la grande famille des Slaves. Plus récemment, un Servien, M. Wuk Stephanovritsch, s’est livré avec une ardeur admirable à de grandes recherches et à de sérieux travaux d’érudition. Son recueil des chants populaires des Serbes parut en 1814 en deux volumes. Une traduction en vers métriques de toutes les poésies qu’il renferme a, dit-on, été envoyée à Goethe, qui s’est chargé de la revoir et de la publier. En attendant,

1 En réalité, beaucoup de chants serbes dépassent ce nombre. (F. w. y.) 2 Bibliothèque allemande, juin 1826, 1. 1, pp. 374-376.