"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE ITT.

entre l’auteur du Nouvel art poétique et l’auteur de la brochure Racine et Shakespeare h 11 fréquente le salon du « bon Étienne » [Delécluze], cette chambre au cinquième d’où va sortir toute la rédaction du Globe et... la réputation littéraire de Mérimée. Il y fait des lectures, en particulier de Cromwell, pièce de théâtre bizarre qui n’a jamais été publiée et dont le manuscrit fut sans doute anéanti pendant la Commune, après la mort de l’auteur, dans l’incendie qui dévora sa bibliothèque et ses papiers 2 . Selon Albert Stapfer, auprès duquel M. Tourneux se renseigna, « le principal acteur était un montreur de marionnettes qui faisait causer ensemble les personnages de l’époque de Cromwell pour l’amusement des spectateurs assemblés autour de sa baraque : ceux-ci prenaient de temps en temps eux-mêmes la parole, blâmant ou approuvant ce qu’ils entendaient 3 ». Delécluze, qui a laissé ses Souvenirs de soixante années, parle aussi de cette lecture : Mérimée, âgé de vingt-deux à vingt-trois ans. avait déjà les traits fortement caractérisés. Son regard furtif et pénétrant attirait d’autant plus l’attention que le jeune écrivain, au lieu d’avoir le laisser-aller et cette hilarité confiante propre à son âge, aussi sobre de mouvements que de paroles, ne laissait guère pénétrer sa pensée que par l’expression, fréquemment ironique, de son regard et de ses lèvres. A peine eut-il commencé la lecture de son drame, que les inflexions de sa voix gutturale et le ton dont il récita parurent étranges à l’auditoire. Jusqu’à cette époque, les auteurs lisant leurs ouvrages, et surtout les lecteurs de profession, déclamaient avec emphase, et en changeant continuellement de ton, les sujets sérieux et tragiques, sans renoncer à ce genre d’affectation en récitant des comédies et même des vaudevilles. Mérimée faisant alors partie de la jeunesse disposée

1 A. Filon, op. oit., p. 15. 2 A ce sujet, lire : Maurice Tourneux, Prosper Mérimée, ses portraits, ses dessins, sa bibliothèque, Paris, 1879. 3 M. Tourneux, Prosper Mérimée, comédienne espagnole et chanteur illyrien, p. 3.