"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

PROSPER MÉRIMÉE AVANT « LA GUZLA ».

195

à provoquer une révolution radicale en littérature, non seulement avait cherché à én hâter l’explosion en composant son Cromwell, mais voulait modifier jusqu’à la manière de le faire entendre à ses auditeurs en le lisant d’une manière absolument contraire à celle qui avait été en usage jusque-là. N’observant donc plus que les repos strictement indiqués par la coupe des phrases, mais sans élever ni baisser jamais le ton, il lut ainsi un drame sans modifier ses accents, même aux endroits les plus passionnés. L’uniformité de cette longue cantilène, jointe au rejet complet des trois unités auxquels les esprits les plus avancés, à cette époque, n’étaient'pas encore complètement faits, rendit cette lecture assez froide. On saisit bien le sens de quelques scènes dramatiques et la vivacité d’un dialogue en général naturel, mais le sujet extrêmement compliqué elles changements de scènes trop fréquents rendirent l’effet total de cette lecture vague, et la société des lecteurs de Shakespeare eux-mêmes ne put saisir le pointd’unité auquel tous les détails devaient se rattacher. Néanmoins, comme la plupart des auditeurs partageaient les idées et les espérances du lecteur, et qu’au fond il entrait encore plus de passion que de goût littéraire dans le jugement qu’il fallait porter sur le drame, tous les jeunes amis de Mérimée l’encouragèrent à suivre la voie qu’il avait prise. Beyle, en particulier, quoique déjà d’un âge mûr, le félicita de son essai avec plus de vivacité que les autres. En effet, le Cromwell de Mérimée était une des premières applications de la théorie que Stendhal avait développée, en 1823, dans sa brochure intitulée Racine et Shakespeare >. Mérimée n'imprima pas ce drame, mais il continua à s’occuper de théâtre. Selon Sainte-Beuve, il collabora un peu au Globe qui venait d’être fondé. Ce fut lui, probablement, à qui l’on doit les articles sur l’Art dramatique en Espagne et le Théâtre espagnol moderne, qui y parurent sous la signature « M. », les 13, 16,23, 25 novembre 1824 2 . Quelque temps après, il lut et fît lire aux habitués de Delécluze les six pièces qui composent la première

1 É.-J. Delécluze, Souvenirs de soixante années, pp. 223-224. 2 G. Nichant, Sainte-Beuve avant les « Lundis », Fribourg (Suisse), 1903, p. 54. Ges articles ne sont pas mentionnés dans la Bibliographie des Œuvres complètes de Mérimée, par le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul.