"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE 111.

comme cette zone entière de végétation poétique. U y apportait un sentiment vif, passionné et qui aurait pu s’appeler de la sollicitude. J’en veux citer un exemple qui me semble touchant et qui montre à quel point il avait aversion de l’apprêté et du sophistique en tout genre. Il avait raconté un jour devant M. Stendhal (Beyle) qui s’occupait alors de son traité sur l’Amour, quelque histoire arabe dont celui-ci songea aussitôt à faire son profit. Fauriel s’était aperçu que, tandis qu’il racontait, l’auditeur avide prenait au crayon des notes dans son chapeau. Il se méfiait un peu du goût de Beyle ; il eut regret, àla réflexion, de songer que sa chère et simple histoire, à laquelle il tenait plus qu’il n’osait dire, allait être employée dans un but étranger et probablement travestie. Que fit-il alors ? il offrit à Beyle de la lui racheter et de la remplacer par deux autres dont, tout bas, il se souciait beaucoup moins ; en un mot, il offrit toute une menue monnaie pour rançon du premier récit: le marché fut conclu etßeyle, enchanté du troc, lui écrivit : « Monsieur, si je n’étais pas si âgé, j’apprendrais l’arabe tant je suis charmé de trouver quelque chose qui ne soit pas copie académique de l’ancien, etc. » Stendhal savait rendre hommage à un ami si savant et si obligeant. « C’est, disait-il, avec Mérimée et moi, le seul exemple à moi connu de non-charlatanisme parmi les gens qui se mêlent d’écrire 1 . » L’influence de Fauriel sur les débuts de son jeune ami Ampère fut sensible. « Il contribua, dit SainteBeuve dans l’article consacré à Fauriel, à développer en cette vive nature l'instinct qui la tournait vers les origines littéraires, à commencer par celles des Scandinaves. » Mais l'auteur des Lundis n'oublie pas l’action de Fauriel sur la jeunesse de Mérimée. « La première fois que M. Mérimée lui fut présenté, Fauriel l’excita à traduire les romances espagnoles d’après le même système qu’il venait d’appliquer aux chants grecs 2 . »Et dans son article sur J.-J. Ampère, Sainte-Beuve en

1 Casimir Slryienski, Stendhal et les salons de la Restauration, Paris, 1892, p. 12. 3 Revue des Veux Mondes, 1845. Portraits contemporains, t. IV, p. 232.