"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

PROSPER MÉRIMÉE AVANT « LA GUZLA ».

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Mérimée avait une bonne raison d’aimer la poésie populaire : il ne faisait pas de vers et, comme son ami Stendhal, n’aimait pas ceux que l’on faisait à son époque. A ses yeux, la poésie lyrique de l’homme moderne n’est qu’un vain et ridicule étalage de fausse sensiblerie, genre très inférieur aux chants naïfs et naturels de l’homme primitif. « Mérimée que vous paraissez admirer comme je le fais aussi, écrivait vers ■lB3O Eugène Delacroix à Paul de Musset, est simple, mais a un peu l’air de courir après la simplicité en haine de l’horrible emphase des grands hommes du jour l . » Trente ans plus tard, sénateur et courtisan, Mérimée gardera le même dédain pour ses contemporains qui «se grisent de leurs propres paroles 2 ». On nous permettra de citer à ce sujet deux passages caractéristiques, d’autant plus intéressants qu’ils n’ont jamais été recueillis dans les œuvres de l’écrivain. Nous détachons le premier d’un feuilleton du Moniteur universel (17 janvier -1856), dans lequel Mérimée présenta au public français les Ballades et chants populaires de la Roumanie, recueillis et traduits par Vasile Alecsandri 3 . J’aime les chants populaires de tous les pays et de tous les temps, disait-il, depuis l’lliade jusqu’à la romance de Malbrouk. A vrai dire, je ne conçois pas, et c’est peut-être une hérésie, je ne conçois guère de poésie que dans un état de demi-civilisation, ou même de barbarie, s'il faut trancher le mol. C’est dans cet heureux état seule-

1 H. Cordier, Stendhal et ses amis, Paris, 1890, p. 67. 2 Lettres à une Inconnue, 27 septembre 1862. 3 Ce grand poète roumain était l’ami de Mérimée ; ils avaient fait de compagnie un voyage en Espagne. (Édouard Grenier, Souvenirs littéraires, Paris, 1893, p. 134.) Il se trouvait à Cannes pendant les derniers jours de Mérimée (1870) auquel il a consacré une notice : Vasile Alecsandri, Prosa, Bucarest, 1876, lIP partie, pp. 605-614. Mérimée a exercé sur Alecsandri une certaine influence. (Voir l’influence des romantiques français sur la poésie roumaine, par N. I. Apostolescu, Paris, 1908.)