"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

PROSPER MÉRIMÉE AVANT « LA GUZLA ».

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tableaux, à des livres ! Bah ! qu’est-ce que c’est cela en comparaison de la gloire de chausser et de coiffer toute une armée, de manière à lui éviter les rhumes de cerveau, et de la façon dont je fais avec quatre fils de coton et une houppe de deuxpouces au moins... » Il en dit comme cela pendant une demi-heure, entrant dans les détails de ce qu’il gagnait sur chaque bonnet; parlant des bonnets rivaux, des bonnets envieux et dénigrants qui voulaient lui faire concurrence, etc. Personne ne le connaissait que M. Ancelot, qui se sauva dans une pièce à côté, ne pouvant plus retenir son envie de rire, et moi qui aurais bien voulu en faire autant... Plus tard arrivèrent des personnes qui le connaissaient ; mais il y avait alors grand monde. La conversation n’était plus générale, et nul ne se fâcha de la mystification 1 . Mérimée imite son maître et le dépasse même. Il confectionne une prétendue lettre de Robespierre pour en faire cadeau à Cuvier, grand amateur d’autographes. A l’école de Beyle, il prend l’habitude des sobriquets énigmatiques. Il lui emprunte jusqu’à ses pseudonymes et adresse à M me Ancelot une lettre signée : Charles Cotonet, jeune' 1 . Comme Stendhal, Mérimée fait des calembours sur les noms de ses amis : il écrit « 1/3 » pour M. Thiers ; <c De la + » pour Delacroix. Il va sans dire qu’un écrivain du talent de Mérimée ne manifesta pas cet esprit de mystification exclusivement dans des plaisanteries de ce genre. De fait, rares sont ses nouvelles où le lecteur avisé ne soupçonne pas, en dépit du masque impassible dont l’auteur s’est couvert, un ricanement discret qui accompagne les scènes les plus émouvantes. C’est du reste un point sur lequel nous n’avons pas besoin d’insister. Ce goût de la mystification était chez Mérimée essen-

1 M”* Ancelot, Les Salons de Paris, foyers éteints, Paris, 1858, pp. 67-68. 2 L'Amateur d’autographes, 1877, p. 109. — Cette lettre est du 29 décembre 1830. Vingt ans plus tard, Mérimée écrit à une autre dame, date du grand séminaire de Carcassonne et signe : l’abbé Chapond, professeur de théologie. (Revue des Peux Mondes du 15 août 1879).