"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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CHAPITRE VI.

Quoi ! disait-il dans l’article consacré aux vampires dans son Dictionnaire philosophique, c’est dans notre xvui’ siècle qu'il y a eu des vampires ! c’est après le règne des Locke, des Shaftesbury, des Trenchard, des Collins ; c’est sous le règne des d’Alembert, des Diderot, des Saint-Lambert, des Duclos, qu’on a cru aux vampires, et que le révérend P. dom Augustin Calmet, prêtre bénédictin de la congrégation de Saint-Vannes et de Saint-Hidulphe, abbé de Sénones, abbaye de cent mille livres de rentes, voisine de deux autres abbayes du même revenu, a imprimé et réimprimé l’histoire des vampires avec l’approbation de la Sorbonne, signé Marçilli ! Puis, après avoir parcouru le sujet d'une plume légère, il expose brièvement quels en sont les points les plus discutés, en même temps qu’il apporte de plaisantes solutions : La difficulté était de savoir si c’était l’âme ou le corps du mort qui mangeait : il fut décidé que c’était l’un et l’autre ; les mets délicats et peu substantiels, comme les meringues, la crème fouettée et les fruits fondants, étaient pour l'âme ; les rosbifs étaient pour le corps. Jean-Jacques Rousseau, dans sa Lettre à l’Archevêque de Paris, ne s’indigne et ne s’étonne pas moins d’une pareille superstition : S’il y a dans le monde une histoire attestée, c’est celle des vampires ; rien n’y manque : procès-verbaux, certificats de notables, de chirurgiens, de curés, de magistrats ; la preuve juridique est des plus complètes ; avec cela, qui est-ce qui croit aux vampires ? Donc, au xvm e siècle on ne pouvait songer à exploiter le vampirisme dans la littérature, du moins en le prenant au sérieux. Le revenant sanguinaire avait été tué sous le ridicule avant d’être sorti de sa tombe. Aussi faudra-t-il le romantisme frénétique, du xix e siècle pour le déterrer et lui donner la vie. Ce fut un illustre écrivain qui ouvrit la brèche. En 1797, Goethe composa sa Fiancée de Corinthe, « une histoire vampirique », comme il l’appela lui-même (eine