La Serbie

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Prix du numéro: 10 centimes

Paraissant tous les Dimanches Rédacteur en chef: Dr Lazar Markovié, professeur à l’Université de Belgrade

Lloyd George

De tous les ennemis de l’Allemagne, l'Angleterre est sans doute le plus redoutable. Cet Etat est dans une situation admirable pour faire la guerre: inaccessible à une invasion par terre, sa puissance pour

© ainsi dire illimitée, s'étend sur toutes les mers, qu’elle couvre de ses vaisseaux. Par sa position elle domine l'ennemi sans être jamais dominée par lui.

Mais ces avantages ne Sont pas sans inconvénients graves. Trop sûre d’elle-même, la Grande-Bretagne négligeait comme à dessein sa puissance militaire. La guerre la surprit plus que tout autre pays. Son armée par le nombre dépassait à peine celle de la Belgique et n’égalait pas même celle de la Suisse, pays dont la neutralité était garantie par les traités internationaux. L’insuffisance de sa préparation militaire a fait croire à l'impossibilité de l'intervention anglaise dans le conflit.

Mais la brutalité dont l’Allemagne fit preuve en violant le territoire belge fit oublier aux descendants de Pitt et de Chatham l'insuffisance de leur préparation et le désavantage du nombre. Au lieu de compter les divisions qu’ils pouvaient opposer à l'Allemagne, les Anglais ne songeaient qu'aux crimes dont cette puissance se souillait les mains. L’indignation leur fit ou-

…blier l'infériorité numérique.st les soidats.de.

Blücher trouvèrent en face d'eux cette foisci les soldats de Wellington dans ces mêmes plaines de Belgique où un siècle auparavant ils combattirent ensemble. Alors seulement les Anglais que le bon sens ne quitte jamais mirent à la tête de l’organisation technique de la guerre, l’homme qui par le génie de ses conceptions et la rapidité de son travail surprit le monde en achevant l’œuvre nécessaire à la puissance de la Grande-Bretagne. !

Nommé ministre des munitions en juillet 1915, Liyod George dota l’armée britannique d’un outillage tel que jamais une autre armée n’en posséda. Par sa volonté dominatrice, il réveilla l'énergie de la nation et le zèle des chefs militaires. Les victoires qui suivirent en Mésopotamie, en Syrie et en Flandre sont dûes en grande partie à son effort.

Lorsque ensuite il fut placé à la tête du gouvernement il unit au corps de l’empire britannique des pays immenses en soudant toutes les colonies avec la mère patrie. Il arrêta la grève des mineurs gallois qui menaçait d’immobiliser la flotte anglaise et soumit les ouvriers des Trades-Unions rebelles s’obstinant dans la résistance puisqu’elles ne pouvaient s'élever au-dessus de la conception de la luite des classes.

Sa tactique en politique diffère fort de celle de ses prédécesseurs. Tandis que Îles paroles de ces derniers trahissaient le désir de cesser la lutte le plus tôt possible et par

- là détournaient les autres peuples de parta-

À

ger le péril de la guerre, lui au contraire fit.

d’abord sentir à tous qu’il était l'ennemi des Allemands et qu’il entendait le rester tant que ceux-ci n'auraient pas secoué le joug militariste.

Les revers qu'il éprouve ne font que stimuler son énergie civile et son courage. Quel spectacle réconfortant que d’observer l'attitude de ce chef admirable, qui dans l'adversité au lieu de gémir se redresse, et tel un lion qui regarde Ses blessures, n’en est que plus indigné.

: Cabinet de guerre comprenant un nombre

En excellent Iutteur, il ne cache jamais à

ses concitoyens le danger qui les mencér |

Il ñne craint non plus de parler ouvertement des fautes commises et des erreurs dans la conduite des affaires. Ses discours toujours véridiques rappellent par leur franchise les communiqués des armées britanniques

toujours sobres et soucieux de la vérité.

Son parler franc est comme l'air frais du large qui nettoie et purifie l'atmosphère. La confiance que son pays mit en lui est donc pleinement justifiée. S'il ne réussit pas toujours à conjurer le péril, c’est qu'il se heurte souvent aux difficultés insutmontables, inhérentes à la nature même des coalitions. Néanmoins, il sait tirer profit même de certains revers pour rendre son pays plus apte à la lutte. Après le désastre serbe, c’est le service obligatoire qu'il fit accepter à ses concitoyens. La défaite roumaine le débarrassa des lenteurs d’un lourd mécanisme gouvernemental : il créa le

limité de membres.

L'œuvre d’unification et de soudure qu'il sut réaliser à l’intérieur de l’empire ne lui réussit pas jusqu'ici dans le sein de la Coalition. Il n’en reste pas moins dévoué à cette idée et son dernier discours prononcé à Paris prouve avec quel zèle.il s'attache au progiamime qui tend à unifiéf toutes-les forces des Alliés. Il se consacre tout entier à la réalisation de lPunité dé plan et de direction où semble résider tout le secret de la victoire. Sans encourir le reproche d’un optimisme exagéré on peut d'ores et déjà dire,que, dans ce sens, un progrès considérable sinon décisif peut être envisagé.

Il n’est pas sans intérêt de reproduire ici l'opinion d’un grand journal allemand * pour montrer quel effet produit sur ses ennemis l'attitude résolue de Lloyd George. Loin de contester son talent et sa supériorité on essaye de le gagner par une argumentation adroite et par une condescendance excessive. «Le grand défaut de Lloyd George, écrit ce journal, c’est de croire qu'il lui est encore possible de nous vaincre. Les Allemands non plus, ne sont en état de venir à bout de la résistance des Alliés. Donc le plus raisonnable serait de s'entendre ». Voilà la pose et le langage des Allemands, d'habitude si orgueilleux et si arrogants, lorsqu'ils se trouvent en face d’un homme supérieur, capable de leur tenir tête et même... de les

vaincre.

# # x

Aucun autre peuple ne saurait apprécier mieux que les Serbes la force de caractère de Lloyd George et l’œuvre accomplie par ce défenseur hardi de la liberté du monde et de l'idéal démocratique. Les Serbes n’ignorent point qu’il fut avec Lord Carson celui qui, parmi les membres du Gouvernement, insistait le plus pour l’envoi des troupes anglaises à Salonique au secours de la Serbie. Pourtant, l'admiration du peuple serbe pour le grand leader anglais daté d’un jour plus éloigné, le jour où il prit parti pour un petit peuple — les Boers — en risquant sa vie et sa réputation et la guerre actuelle ma fait que consacrer une admiration qui lui était depuis longtemps acquise. EU

M. D. M.

an re TE \ 1 Frankfurter Zeitung.

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JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

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Suisse.,..... Gfr. — par an

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Autres pays. 9fr,— »

Les Serbes et la haine ù

De tous les peuples qui ont souffert de la guerre, c’est le peuple serbe qui a le triste privilège de se trouver au sommet de l'échelle. Le pays ravagé, des villes et des villages entiers ruinés, le nombre d’habitants diminué d’un quart, les institutions étatiques et sociales détruites, l’envahisseur procédant à une dénationalisation éhontée et la population dans la plus grande misère. Malgré tout cela, les Serbes sont restés fidèles à la mission que l'Histoire leur a destinée, et ils continuent avec le même élan et la même abnégation la lutte pour la délivrance de leurs frères de race asservis. Cet optimisme robuste, cette foi indestructible en la victoire du Droit et de la Justice, ce sentiment de persévérance, malgré les revers subis, ce sont des qualités dont le peuple serbe peut, et à juste titre, s’enorgueillir. Mais, ce qui est encore plus remarquable, c’est que les Serbes ont conservé même dans les malheurs la pureté de leur caractère et tout en luttant héroïquement contre ceux qui se comportent comme des barbares, ils font preuve d’un calme moral et d’un esprit de générosité tout à fait extraordinaires. La grandeur de leur âme se reflète le mieux dans leurs manifestations politiques ou autres. Autant

« The Eady of the Black Horse »

ll y a peu de livres comparables à l’admirable ouvrage de Mrs. S. Clair Stobart sur la Serbie et le

peuple serbe !. Orné d’un portrait ravissant de la |

« Dame au cheval noir » de George Rankin, représentant la noble lady anglaise à cheval précédant son convoi sanitaire pendant la retraite par l’Albanie, ce livre évoque par son extérieur même toute la tragédie serbo-alliée de 1915. Etlorsqu’on avance dans la lecture de ces pages écrites d’un style si simple, si naturel et pourtant si émouvant, on reste des heures entières sous l'impression saisissante de cette image fidèle de l’âme élevée et pourtant si malheureuse d’un peuple de braves. Ce qui distingue plus particulièrement le livre de Mrs Stobart, c’est d'abord la spontanéité avec laquelle elle discerne, sans connaître le serbe, ce qui est au fond même de notre caractère, et le décrit d’une façon magistrale. Je ne sais pas si Mrs Stobart a écrit d’autres livres, mais ce qui est certain c’est que son livre sur les Serbes rentre dans la catégorie des meilleures publications sur la psychologie d'un peuple. La valeur du livre est encore augmentée par l'amour qué les Serbes inspiraient à l'honorable dame anglaise et qu'ils ressentaient eux-aussi pour leur bienfaitrice,

Mrs Stobart est venue en Serbie avec un nombreux personnel sanitaire, composé uniquement de dames. Le travail que sa mission a accompli, en installant en de nombreux endroits des postes d’ambulance pour combattre les épidémies, servira d’exemples à toute organisation future de ce genre. Mais la rude tâche entreprise par les nobles Anglaises, de suivre les troupes serbes’ et d'organiser des hô6pitaux de campagne immédiatement derrière le front, marquera une des plus belles pages de l’histoire des exploits féminins au cours de cette guerre. Avec quelle émotion on lit fa description que donne Mrs Stobart des heures angoissantes du mois d’octobre 1915, où l’armée serbe, attaquée de trois côtés, par les Allemands, Autrichiens, Magyars et. Bulgares, courait, sans haleine, d’un front à l’autre pour défendre le sol sacré de la patrie! Et l'hôpital de Mrs Stobart faisait le même pélerinage, tout en accomplissant son devoir, jusqu’au moment où devant la supériorité écrasante des ennemis réunis la petite armée serbe,, blessée mais invincible, dut prendre le chemin dirt

Le nom de Mrs Stobart sera inscrit en lettres d’or dans l’histoire de la liberté du peuple serbe. Notre gratitude et l'expression de nos sentiments de dévouement profond né sont qu'un témoignage modeste de sympathie et de la reconnaissance que notre peuple éprouvera toujours pur elle et sa généreuse patrie, * fe

The Flaming Sword in Serbia and elséwher UE { St. Clair Stobart. Hodder and Stoughton. Londen. Ha

alvaire, le chemin de l’'Albanie.

ils sont fermes dans ieurs idées politiques, autant ils cèdent à leur caractère slave.et

ne sé laissent pas entraîner à la haine de

l'ennemi.

Combien les Serbes sont supérieurs, à ce point-là, aux Bulgares, par exemple, une simple comparaison de la presse ‘serbe pour autant qu’elle existe — avec la presse bulgare, peut le démontrer. Les Bulgares, malgré tant de succès militaires, manitestent une telle haine envers les Alliés, que

ce phénomène prend plutôt une forme pa-

thologique. Chez nous rien de semblable. Nous combattons nos ennemis, nous relevons leurs méfaits, et si nous exprimons quelquefois notre mépris à leur égard, êe n’est pas la haine qui nous inspire. Tous les lecteurs de notre journal ont pu le constater eux-mêmes. C'est pourquoi nous sommes bien étonnés de l'affirmation de M. Hermann Wendel, dans le « Vorwärts » du 19 novembre, que les articles de « La Serbie » sur la Bulgarie et le peuple bulgare, tous basés pourtant sur les documents bulgares, manifestent « une haine passionnée et une injustice aveugle » ! {1 Comme si l’on pouvait haïr ceux qui nous sont de beaucoup inférieurs, et pas seulement au point de vue moral!

Nous recevons d’un homme serbe la lettre suivante :

« Monsieur le rédacteur,

« Dans le numéro du 11 courant de votre journal, vous avez consacré deux articles à la question que M. Noël Buxton avait posée aux Communes, à lord Balfour, au sujet de la Bulgarie. Il me semble qu’on n’y a pas suffisamment relevé l'importance et la gravité de cette question, ni le contre-coup qu’elle pourrait produire parmi ceux qui versént leur sang et sacrifient leurs vies pour la cause de l’Entente.

« Après et malgré tant d'expériences que cette guerre nous a données, M. Buxton se montre encore préoccupé, non pas du sort de la Liberté et de la Civilisation, mais du sort — de la Bulgarie! Il craint que la Bulgarie ne Sorte de cette guerre abaissée et lésée dans ses intérêts. C’est dans ce sens qu’il vient d’interpeller lord Baifour à la Chambre des Communes.

« Il faut, certes, que lhonorable membre du Parlement anglais soit sérieusement plein d’anxiété au sujet du sort de la Bul-

politique

garie, puisqu'il ne réussit pas même à s’en.

délivrer au moment où les Bulgares tuent à loisir et sans merci ses propres frères anglais sur le front macédonien, et au mo-

ment où ces mêmes, Bulgares déclarent

haut et clair, par la bouche de leur premier ministre, M. Radoslavoîf, que le sort de la Bulgarie est d'ores et déjà réglé et assuré par les traités qu’ils ont conclus avec l’Allemagne. À

« Permettez-moi, Monsieur le rédacteur, de vous dire que ce n’est pas peu de chose que d’entendre en pleine guerre un Anglais adresser pareille question au ministre des Affaires Etrangères, devant le Parlement du Royaume-Uni. Ce qui accroît la gravité du cas, c'est que M. Buxton n’en est pas à ses débuts sur ce chapitre, il est déjà revenu à ia charge précédemment de semblable manière.

« Comment se peut-il que de telles questions soient prononcées dans un parlement d’un pays allié? À quoi peut aboutir une telle attitude ? Comment l'interpréter ?

« Que diront les combattants anglais et alliés qui se battent si vaillamment sur les fronts, rmacédonien et autres? Qu’arriverat-il si, un beau jour, les soldats anglais qui luttent contre les Bulgares se disent: pourquoi luttons-nous, pourquoi exposons-nous