La Serbie

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Ime Année. — No 4

RÉDACTION et ADMINISTRATION

69, rue du XXXI Décembre - Genève Téléphone 14.05

Prix du numéro: 10 centimes

Faraissant tous

Genève, Samedi 26 Janvier 1918

les Samedis

Rédacteur en chef: Dr Lazar Marovié, professeur à l’Université de Belgrade

JOURNAL POLITIQUE MEBDOMADAIRÉE

Suisse....... 6 fr. — par an

\ ABONNEMENT . ) Autres pays. 9fr.— »

The Future of the Southern Slaves “ | M. Noël Buxton revient à la charge

M. À. H. E. Taylor en écrivant son livre

“hosyr avenir des Yougostlavesi s’est distin-

gué par deux qualités essentielles : la connaissance profonde des différents aspects de la question balkanique et l’objectivité dans l'appréciation et le jugement. C’est la première fois, à notre connaissance, qu’un publiciste anglais est venu discuter le problème austro-hongrois et l’avenir des Balcans à la lumière des faits concrets et établis, sans s'occuper des préjugés ou des traditions et prédilections anglaises. Avec MM. Seton-Watson, Wickham Steed, A. Evans et quelques autres esprits éclairés, M. Taylor forme une petite élite politique qui ne se livre plus aux illusions. Les mirages bulgare, magyar, allemand ou autrichien n'existent pas pour ces publicistes dont l'idéal consiste dans la création d’un ordre nouveau en Europe, plus stable, plus juste et plus digne de la société humaine. ‘ C'est là une tâche énorine dont la réalisation ne dépend pas seulement de la victoire sur l'Allemagne. Il faut aussi réveiller les esprits endormis dans nos propres pays, il faut éclairer les aveugles ou les myopes si l’on veut empêcher l’arrivée de ce qu’un Américain érudit, M. George Herron a si justement appelé the menace of peace, le danger de la paix! Jugé de ce point de

vue le livre de M. Tayior mérite les plus

grands éloges. Sa lecture laisse une impression profonde sur tous ceux qui, devant l’inertie de la diplomatie officielle, seraient tentés quelquefois à désespérer non seulement de l’avenir de leurs propres pays mais aussi et surtout de celui de l'Europe entière. Les livres tels que l’étude de M. Taylor prouvent pourtant qu’il y a parmi les Alliés des gens qui comprennent les affaires balcano-autrichiennes et les comprennent même à fond.

Le livre commence par un appel en faveur de la Serbie. Avec le courage d’un homme de foi et de conscience, M. Taylor rappelle le fait vraiment triste qu’encore aujourd'hui, malgré toutes les erreurs du passé, malgré tous les sacrifices, la Serbie et le peuple serbe ne jouissent pas de sympathies excessives auprès du public anglais. Mais, ce qui est plus grave, l'attitude de la Serbie, les lignes principales de sa poli-

tique, et l’objet légitime de ses aspirations

nationales, rencontrent en Angleterre un intérêt médiocre sinon une opposition cachée. Combien les Anglais sont dans l’erreur, c’est ce que M. Taylor, par une méthode indirecte, a voulu démontrer, et si nous nous permettons d'avancer notre jugement, nous croyons pouvoir dire que tout lecteur désintéressé, après avoir lu ce livre, devra conclure avec M. Taylor qu'il ne sera jamais superflu de rendre hommage aux exploits des Serbes, de rappeler la gratitude dont les Alliés leur sont redevables et d’insister sur l'intérêt de l'Europe à faire aboutir l’unité nationale serbe où yougoslave. M. Taylor a fait précéder son exposé politique d’un précis de l’histoire serbe, qui se termine par la renaissance serbe comme l’auteur appelle l’époque 1908-1914, dès l’annexion de la Bosnie-Herzégovine jusqu’à la guerre mondiale. Il a passé ensuite au problème adriatique qui est d’une importance vitale pour le futur Etat yougo-

1 TheFutureof the Southern Slavs. By A. H. E. Taylor. — London, T: Fisher Unwin Ltd.

slave et qui est.traité par l'auteur dans un esprit large et plein de compréhension aussi bien pour l'Italie que pour les Slaves, ayant surtout en vue l'intérêt de l’Europe à une solution juste.

Quant aux frontières à l’est, M. Taylor ne fait pas rentrer Baranya dans le cadre de notre futur Etat et voudrait plutôt établir la Drave comme frontière, alléguant que la population de cette province serait très mélangée. Pour Batchka, il voudrait également voir les Serbes modérer leurs prétentions pour ne pas englober dans l'Etat futur des éléments étrangers, Magyars et Allemands. La question du Banat et de la délimitation serbo-roumaine est traitée dans le même esprit.

M. Taylor a consacré aussi aux rapports serbo-bulgares, un chapitre spécial qui est d’une clarté et d’une précision exemplaires. Cette partie du livre comparée aux écrits des dilettantes tels que M. Buxton par exemple, fait honneur à la science historique et diplomatique anglaise. M. Taylor fait rentrer la Bulgarie dans les limites d’avant la guerre. Il n’est pas partisan d’une punition vindicative et considère pour essentiel de rendre ce pays désormais inoffensif. L'idée d’une amitié future serbo-bulgare lui paraît utopique, et il considère toute

“politique basée sur cette idée comme une

folie.

Une nouveauté intéressante c’est le dernier chapitre où l’auteur a exposé son opinion sur l’organisation future de l'Etat yougoslave. Nous reproduisons ailleurs in extenso cette opinion intéressante et instructive. Nous avons été très flattés de voir notre journal plusieurs fois cité dans le livre de M. Taylor. Un tel hommage ne peut quenousencourager à persévérer dans notre tâche qui est d'éclairer les milieux alliés sur la nature de notre problème national. L. M.

L'Italie, l’Autriche-Hongrie et les Yougoslaves

Les allusions faites dans les discours Lloyd George-Wilson à la conservation éventuelle de la monarchie dualiste, ont vivement impressionné les Slaves et les Italiens. L'idée que les dissentiments serbo-italiens aient pu contribuer eux aussi à la formation de cette mentalité pro-autrichienne qui pèse toujours sur les Alliés, n'a rien d'extraordinaire. Les patriotes italiens et yougoslaves devraient donc s'occuper sérieusement d’une amélioration de leurs relations, ainsi que de l’aplanissement de toutes les difficultés par un accord amical qui, en sauvegardant les intérêts vitaux des deux nations, scellerait pour toujours leur amitié et leur alliance. Nous sommes heureux de pouvoir constater que les milienx italiens commencent à entrevoir le grand danger qu'il y aurait à laisser l'Autriche en vie, et qu’ils se rendent également compte de la nécessité impérieuse de lutter en commun avec les autres nationalités de la Monarchie, en premier lieu avec les Yougoslaves, contre cette puissance despotique. Les articles du « Corriere della Sera », ces derniers temps, sont très suggestifs à ce sujet. Du côté des Serbes, Croates et Slovènes, on est aussi très disposé à faire les efforts nécessaires et à rendre possible une entente sur la base des idées de Mazzini et dans un esprit de large compréhension des raisons qui poussent l'Italie à parachever son unité nationale. Un accord italo-serbe dans les lignes générales produirait, surtout en ce moment,

un effet salutaire, et montrerait à l’Europe démo-

cratique et à l'Amérique républicaine que les intérêts de la paix future, en dehors de toutes les considérations idéales, réclament la dissolution de l’Autriche-Hongrie et la constitution d’une chaîne des Etats nationaux — Italie, Yougoslavie, Bohême, Pologne, formant une barrière infranchissable contre le germanisme. R.

Agr *

M. Noël Buxton, membre du Parlement anglais, poursuit toujours sa campagne en faveur des alliés de l'Allemagne, avec un zèle vraiment étonnant. Jusqu'à présent, c’est pour la Bulgarie qu'il plaidait ouvertement, et maintenant il ne se gêne pas de prendre parti aussi pour l'Autriche-Hongrie. Sous le titre “ L'Entente et les alliés de l'Allemagne ,, la * Contemporary Review , (janvier 1918), publie en effet un article de M. Buxton, où ce dernier parle de l'épuisement de la Monarchie austrohongroise, de son aversion du militarisme prussien, du remaniement de ses institutions constitutionnelles dans le sens de la “ démocratisation , des diverses nationalités qui composent cet Etat hétérogène, de la facilité relative de la détacher de l'Allemagne, de l'avantage qu'il y aurait à profiter de cet état psychologique en l'accenituant par des discours favorables à l'Autriche. Et il propose la solution suivante :

“ La reconnaissance de l'intégrité de l’Autriche-Hongrie, les prétentions à l'indépendance des nationalités de l'Empire pouvant se régler par des réformes inté-

“rsotes ie rétäbtissément ‘de 14 Sefbie, l'incorporation du Monténégro à la Serbie et l'établissement au port d'Antivari d’un

— Après les Bulgares, l'Autriche —

débouché réel économique par l'achat de Spizza à l'Autriche ».

En posant ce programme, M. Buxton n'a pas oublié non plus ses petits amis bulgares. Pour la Bulgarie, il propose généreusement, parce que ça ne lui coûte rien, qu'elle soit arrondie des territoires serbes, grecs et roumains. De la Serbie il prend la soi-disant zone incontestée, de la Grèce une partie de ses acquisitions de 1912-13, et de la Roumanie une portion de la Dobroudja.

Nous ne contestons pas à M. Buxton le droit de faire des “ propositions , si ça lui fait plaisir; ce qui nous émeuf, c'est l'affirmation gratuite que “ si les revendications légitimes de la Bulgarie avaient été reconnues au commencement de la guerre, la Serbie aurait été sauvée»», Rien de cela ne correspond à la vérité, D'abord, les prétentions bulgares n'étaient pas du tout légitimes, et ensuite, c'est un fait notoire que la Serbie avait consenti au plus douloureux sacrifice uniquement pour voir la Bulgarie revenir sur le droit chemin et ne pas commefttre une nouveile trahison. Que M. Buxton se donne l'air d'ignorer ces faits connus de ‘tout'le moñde, C'est ne preuve nouvelle du caractère véritable de ses plaidoïiries austro-bulgares.

UNE OPINION SUISSE SUR L'AUTRICHE-HONGRIE

M. le professeur Alexis François publie, à propos des discours Lloyd George-Wilson, dans la « Semaine Littéraire » du 19 janvier, un vibrant article, dont nous extrayons les passages suivants :

À considérer les choses dans la pleine lumière de la réalité, il ne peut faire aucun doute que les récentes manifestations oratoires de Lloyd George et de Wiison doivent être interprétées comme des symptômes de faiblesse. C’est ainsi qu’on les considère en Allemagne. Car, si l’on ne prend pas les mouches avec du vinaigre, on n’a jamais pris, on ne prendra jamais les Prussiens avec du miel. Ce qui vient de la force ne peut être réduit que par la force; ce qui se repait de violence ne peut être rassasié que par la violence.

Nous avons le droit d'interpréter comme des signes de faiblesse des déclarations qui rendent la vie à l’empire d'Autriche et au gouvernement actuel de l'Allemagne. Et des signes dont l’ombre s’allonge bien loin sur notre avenir. Les deux choses sont étroitement liées du reste. La guerre est née de l'existence d’un empereur militaire à Berlin et d’une diplomatie sans scrupule à Vienne. Dans ces deux termes, sont contenus tous les malheurs de l’ancienne Europe.

L'Allemagne prussienne incarne le sabre levé sur le monde pour le tenir sous la domination de la terreur et l'entraîner aux

armements indéfinis. L’Autriche incarne la |

diplomatie occulte et cruelle, héritière de Metternich, chargée d’appliquer dans toute sa profondeur machiavélique la formule : Divide ut imperes. C’est un des plus sinistres paradoxes de l’heure que ce soit aux gouvernements prussien et autrichien que la révolution russe demande la paix, qui mettra fin aux armements et à la diplomatie secrète. Il n'y a pas de psychologie ingénieuse, pas d’opportunisme politique, pas de sympathie pour un pays limitrophe et ami de la Suisse, pas de théorie prétendue libérale et antinationaliste capable d'étouffer au fond de notre conscience la voix qui crie: L'Autriche d’hier de-

vait disparaître. La vraie solution libérale, et humaine en même temps, c'était la substitution d’une chaîne de démocraties slaves, Pologne, Bohême, Serbie, au carcan autrichien dont la corde est tenue par un archiduc, un magnat et un jésuite. La Russie révolutionnaire ne l’a pas voulu : que la responsabilité en retombe sur elle avec un peu de la malédiction de nos enfants.

Et que notre malédiction retombe aussi sur elle pour laisser flamboyer au-dessus de nous l’épée monstrueuse du Hohenzollern, sept fois trempée dans le sang innocent du Serbe et du Belge, dans le sang loyal du Français et de l'Anglais. Nous comprenons la douleur des Russes qui doivent savourer silencieusement cette honte, et nous saluons avec émotion de loin l’ombre glorieuse de Kerensky. qui, à travers ses faiblesses et ses erreurs, n’en a pas moins toujours poursuivi ce premier but essentiel: la destruction de la puissance militaire prussienne.

Voilà des semaines, voilà des mois, que de toute part on crie aux gouvernements de l’Entente : proclamez vos buts de guerre, proclamez vos buts de guerre! Comme si ces gouvernements s'étaient tus, comme s'ils n'avaient pas parlé en mainte occasion mémorable ; surtout comme si ces buts de guerre n'avaient pas été, dès la première heure, impliqués dans leur politique et dans leurs actes! Comme s'ils ne dérivaient pas essentiellement de ces deux faits initiaux : la protection de la, Serbie et la défense de la Belgique!

On dirait parfois que dans tous les pays, dans les deux camps, des deux côtés de la mer, on a comme perdu de vue les débuts de la guerre, ou qu’on n’y veut plus penser par faiblesse ou par lassitude. Août 1914, que c’est loin pour la mémoire des foules, surtout des foules agonisantes ou jouisseuses ! Mauvais conseils, mauvais bergers, ceux qui les aident à se plonger ainsi dans l’oubli! Pour nous, neutres, qui avons eu notre large part de défaillance,