La Serbie

Ilme Année. — No 15

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RÉDACTION et ADMINISTRATION @, rue du XXXI Décembre - Genève

Téléphone 14.05

Prix du Numéro : 10 Centimes

Paraissant tous Rédacteur en chef : Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à l’Université de Belgrade

Le comte Czernin et la Serbie

Si le comte Czernin, après avoir laisser parler | le Balplatz a jugé opportun de se servir de la

pendant quelque temps : le canon, reprend la "Darole, c'estavanttout, ..imenousl'avions dit,un aveu de l'échec de l’«‘2nsive allemande sur le le front occidental. Effet, serait-il imaginable que le comte Czerni. se dresse de nouveau en solliciteur si les victoires qu'on chante en Allemagne avaient le moindre aspect de réalité et n'étaient pas au fond une sérieuse défaite ? Le ministre autrichien des Affaires étrangères, qui doit assurément êlre bien renseigné et bien placé pour juger la vileur des résultats obtenus par les dernières opi-ations en Picardie, n'ose pas attendre de ce caté le salut de la Monarchie. Il est pressé de le cherther ailleurs.

Mais la principale cause qui a déterminé le comte Czernin à pzrler de la paix est la situation intérieure extrêmement critique de la Double monarchie. La crise que traverse actuellement l’Autriche-Hongrie n'est pas une crise politique mais d'ordre social ; elle l’est en ce sens que les grandes masses populaires sont en mouvement et que par conséquent, la base même de l'Etat vauile. La fermentation qui dure depuis quatre aïs parait avoir atteint son point culminant : il ne lui manque qu’une amorce pour produire l'explosion. Cette amorce, comme dans presque toutes les révolutions, c’est la famine, qui commence à peser sur la population austro-hongroïs-: Le gouvernement, im. puissant à parer ce mouvement nationaliste des peuples opprimés, reste hors d'état de remédier aux difficultés alimentaires qui menacent d’allumer dans le pays, un incendie général. Seule une prompte paix, croit-on à Vienne, pourrait préserver la Monarchie du désastre.

Au nombre de ceux à qui le comte Czernin s'adresse pour cette paix de sauvetage se trouve aussi la Serbie et l’on est étonné, au premier abord, de ce que le comte Czernin ait bien voulu consacrer tout un passage à la Serbie ! Cependant il n’est que trop aisé de trouver les motifs de ces bonnes grâces.

Sans parler des autres peuples slaves de la Monarchie, le peuple Yougoslave se trouve dans un état d’agitation révolutionnaire. L'idée de l'indépendance de notre peuple et de son unité avec la Serbie est venue à sa pleine maturité. Aucune mesure de la part des autorités n'est plus en mesure d'empêcher le peuple et ses représentants de manifester publiquement et avec vigueur leur ferme volonté de secouer le joug austo-magyar et de former, avec la Serbie, un Etat yougoslave absolument indépendant de la monarchie et de la dynastie des Habsbourg. La Russie s'étant momentanément désintéressée du sort des peuples slaves, tous

les regards du peuple yougoslave restent uni

quement dirigés vers la Serbie dont le prestige est d'autant plus grand que, à l'encontre de la Russie, elle n’a pas fléchi malgré les épreuves inconnues dans l’histoire des autres nations. Notre peuple de la Monarchie considère la Serbie comme son représentant naturel et le fidèle interprète de ses vœux auprès de nos grands alliés. La force morale de la Serbie est un puissant facteur dans le mouvement nationaliste des Yougoslaves et son rôle y est des plus décisifs.

Le gouvernement de Vienne, non sans dépit, a dù se convaincre de cette vérité et apprécier l'importance du rôle que joue la Serbie aux yeux du peuple yougoslave. C’est sans aucune gêne que le comte Czernin s'adresse à cette même Serbie que l'Autriche traitait, il n'y a pas longtemps, avec tant de mépris et de dédain, Pour sauver le Sud de la Monarchie,

Serbie -

(En ce qui concerne la Serbie, dit le comte Czernin, nous savons que le désir de paix est très grand dans ce pays, mais qu'il est empêché de la conclure par les’ grandes puissances de l'Entente ». Par cette calomnie inqualifiable le comte Czernin veut discréditer la Serbie auprès du peuple yougoslave, ce qui aurait pour effet de le décourager et d’enrayer son acheminement, vers l'indépendance et la liberté. C'est bién une intrigue digne de la politique traditionnelle de l’Autriche dont le but est en outre de dénigrer la Serbie auprès des Alliés pour que ceux-ci l'abandonnent et qu'elle soit forcée de se jeter dans les bras de l'Autriche.

Tout en essayant de discréditer la Serbie.

auprès du peuple yougoslave et des Alliés, le comte Czernin voudrait la ménager en vue de l'incliner à conclure une paix séparée avec l'Autriche-Hongrie.

« Nous ne voulons pas anéantir la Serbie, dit-il, ni l’écraser. Nous voulons lui donner la possibilité de se développer... Nous ne voulons pas influencer les relations futures de la Serbie et du Monténégro par des moyens opposés aux relations de bon voisinage » — Nous pouvons croire qu'en ce moment l'Autriche, — ou pour quelque temps au moins — ne veut plus nous anéantir, car elle serait heureuse de pouvo:: sauver sa peau; mais c'est en 1914 qu'elle aurait dû tenir de tels propos. Mais à part cela,

nous savons fort bien que l'Autriche est prête :

à nous faire des concessions bien plus vastes, à nous «accorder » plus même que la simple restauration, si la Serbie voulait conclure la paix pour servir à la machination de sauvetage de l'Autriche.

Mais la Serbie ne voudra jamais se prêter à ces intrigues déshonorantes, ni avilir sa grande lutte par un marchandage de territoires. Elle s’est tracé un but bien plus élevé que celui de gagner quelques méprisables concessions territoriales. La Serbie lutte pour le principe de liberté et de justice dont le sens pratique est l'abolition de l'esclavage des peuples, qui doivent jouir tous de la même indépendance. Tant que ces buts ne seront atteints la Serbie ne pourra refuser de continuer ou de reprendre la lutte, car la réalisation de ces buts est la seule voie conduisant le monde à une paix durable. La Serbie désire établir un état de paix et de prospérité dans le coin de l'Europe où habitent ses frères de race et cette situation n'est pas possible aussi longtemps que l’Autriche-Hongrie tiendra sous sa domination des millions de nos frères opprimés.

Nous voulons un Etat yougoslave, indépendant et libre, qui réunira tous nos frères Serbes, Croates et Slovènes. Un tel Etat sera une garantie de paix et constituera une forte barrière contre la poussée germanique vers Bagdad, vers les Indes. Toute demi-mesure ne fera que créer une situation précaire qui rendrait impossible la résistance de notre peuple contre le « Drang nach Osten ». Seule, la solution intégrale de notre question nationale établira une situation stable dans les Balkans et seulement, alors, nous pourrons bien remplir notre devoir du gardien de la porte de l'Orient.

Le comte Czernin doit savoir une fois pour toutes que les intrigues qu'il tentera dans l'avenir sont toutes condamnées d'avance à échouer et que les calomnies dont il se sert ne

peuvent que nous inciter à résister avec une

plus inébranlable ténacité.

position de

A SERBI

JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

les Samedis

à

Conte. Samedi 13 Avril 1918

Suisse... Gfr. — paran A,

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Autres pays. 9fr.— >

Le défi magyar à l'humanité

À l'espérance de l'humanité déchirée et ensanglantée de voir sortir des souffrances “elles un monde meilleur et plus juste,

'autre côté du camp. La Hongrie, où max les Magyars, sont en train de donner ui interprétation qui trahit l’origine germ: 10-tourano-mongGle de ses auteurs. Faisait des efforts suprêmes pour assimiler dix millions d'hommes de race étrangère, les Magyars s'apprêtent à faire subir à leurs peuples le plus odieux régime d'opprission et de violence. Les derniers événéments en sont le triste témoignage. Le ministre de la Justice Wilhelm Vazsonyi. chef du parti démocratique magyar, el membre du gouvernement dit démocratique vil de préconiser l’idée magyare et les buts magyars dans son. discours de clôture à la commission parlementaire pour la réforme électorale. Aux craintes révélées par les orateurs du parti de Tisza que la réforme électorale mettra fin à la suprémauie magyare et provoquera la décoml'Elat magyar, le ministre déocratique a répondu sur un {on oplimise, I ne voit aucun danger dans l’exlension limitée du droit de vote aux races

.noi-magyares d'autant moins que paral-

lèlément à la réforme électorale d’autres réformes seront introduites qui serviront de garanties absolues pour la suprématie masyure. Dans les réformes accessoires sé prime la politique magyare doppression dans toute son horreur et en lécoutant de ta bouche du chef du parti démocratique tout le monde peut comprendre ce qu'il y à d’inhumain et Œdintolérable dans la façon dont les Magyars entendent pourivre Leur domination sur les races non-

en révue dés garanties ratio” nalés!

La réforme électorale qui est basée sur le fait de savoir lire et écrire, a comme première garantie pour la suprématie magyare la délimitation des circonscriptions électorales. Le ministre a dit à ce sujet : « Nous devons avoir l'audace d'organiser les frontières de ces circonscriptions de façon à renforcer les Magyars. D’ailleurs en ce qui concerne celte délimitation des circonscriplions, je suis à même de vous donner l'assurance qu’elle ne sera pas moins avantageuse pour les intérêts magyars que celle de la foi de 1917. » (La loi réactionnaire de Tisza). Ainsi grâce à une savante géométrie, le gouvernemient démocratique entend délimiter les circonscriptions de telle façon que les majorités nonmagyars soient réduites au minimum.

Une autre garantie de la suprématie magyare c’est le scrutin ouvert. Ce n’est que dans les villes dont le caractère magyar est sûr que le projet envisage le scrutin secret.

Le centre de gravité des «réformes » nationales se trouve cependant ailleurs. Le suffrage perdra son caractère dangereux pour les Magyars après avoir passé par un purgatoire intense dénommé «garanties nationales ».

«Jusqu'à présent nous avons été indifférents — a dit Vazsonyi à ce sujet — à l'augmentation du nombre des Magyars.. Je suis optimiste, et je crois que par une politique magyare de dix ans, nous parviendrons à fondre les Ukrainiens en Magyars..… Même en ce qui concerne Îes Roumains la situation est beaucoup, plus favorable maintenant qu'avant la guerre, parce que la politique étrangère n'entrera pas dans notre politique intérieure pour nous empêcher de faire ce que nous jugerons bon de faire...»

Les garanties nationales sont les suivantes selon la déclaration de lidéologue de la démocratie magyare, le ministre Vazsonyi :

«D'abord le droit de vote dans les autonomies départementales ne sera pas étendu selon le principe du suffrage pour le Parlement. Il conservera son caractère actuel qui interdit l'accès aux ééments non-mamagyare. Quand après la guerre Varmée tementales.

L'autre garantie nationale sera l’armée magyare. Quand, après L: yuerre, l'armée recevra une gestion magyare, elle Sera un excellent moyen de magyarisation. Les casernes compléteront l’œuvre commencée par l’école. |

L'école magyare est aussi une arme excellente dont Vazsonyi parle ainsi:

voix cyhiques et grossières népondent,

«Au dieu de rechercher la solution de Ja question nationale dans le droit: électoral, je pense qu'il est bien plus avantageux d'employer toute. notre force à accomplir Pétatisation immédiate des écoles normales, IL faut les étatisér toutes, sans égards aux susceptibilités confessionnelles. ‘’fant que nous naurons pas exéculé le programme intégral d'éducation étatique, le Parlement doit: assigner le droit au gouvernement de pouvoir étaliser n'importe quelle école sans aucune justification. »

Ici rentre également une disposition tout à fait appropriée ‘à exclure les éléments que les Magyars considèrent comme dangereux pour l'Etat. C’est l’aggravaltion de l’article du Code Pénal relatif à l'incitation. Le ministre démocratique em a dit ce qui suit : | s se

«De mon côté je suis d'accord avec les nombreux orateurs qui m'ont précédé qu'ils aient approuvé ou combattu mon projet — qui ont exposé la nécessité de créer un Code Pénal plus sévère, dans le but de protéger l'unité de l'Etat magyar national... Pour nous c’est bien en effet une nécessité impérieuse que d'instituer dés pénalités pour quiconque se livre à des incitations contre l'unité nalionale de: l'Etat magyar. Get Elat magyar est un Etat à caractère national et tant. que nous aurons dans nos mains l'autorité et Ia. force, je dois proclamer que toute opposition à l'unité nationale est un crime qui ne peut pas rester impuni...»

Mais fout cela ne renferme pas les «réformes nationales». [Il y en 4 encore de plus belles qui dénotent le sens que les Magyars ont des droïts de Homme.

La magyarisalion de l'administration est prévue comme première nécessité. Les autonomies cohumunales doivent ere purgées des éléments subversifs. Ensuite vient la politique foncière magyare ce qui, veut dire expropriation des terres non magyares et colonisation des Magyars.

Tout ce formidable plan des «réformes nationales » est appelé par ‘le très démo-

“atique ministre Vazsonyi le programme national commun de ous les partis IMAgVAars.

Les injustices criantes qu'on he pourrait concevoir dans un pays civilisé sont le programme national de lous les partis politiques magyars. Il nest pas difficile de présager un avenir sanglant dans les contrées où les Magyars dirigent les destinées des peuples par ces moyens. L'Europe civilisée laissera-t-elle encore s'accomplir l'iniquité indigne et dangereuse que les satellétes germaniques perpètrent sur des peuples dignes d’un sort meilleur ? PSE

INTRIGUES DE PAIX

L’affirmation mensongère du comte Czernin suivant laquelle M. Clemenceau, quelque temps avant l'offensive sur le front occidental, lui aurait fait demander s’il était prêt à entrer en négociations et sur quelles bases, a produit en France une vive indignation. La présidence du Conseil dément catégoriquement celte assertion du comte Czernin en dévoilant impitoyablement les moyens perfides et lâches dont se servent nos ennemis pour ébranler le moral du soldat français et cela au moment où il contient si admirablement et au prix d'efforts surhumains la poussée féroce de l'ennemi trois fois supérieur en nombre.

Il est à noler qu’à cette même époque, l’émissaire du comte Czernin en Suisse, M. Czenek Slepanek avait fait des tentatives semblables auprès des Serbes en vue de conclure une paix séparée avec la Serbie. Notre rédacteur en chef, M. le Dr. L. Marcovitch, à qui M. Slepanek avait écrit plusieurs lettres, a porté à la connaissance du public, dans la « Gazette de Lausanne» du 15 janvier, ces intrigues de l'Autriche. Par l'intermédiaire de iv. Slepanek, le comte Czernin avait offert à la Serbie, outre les avantages politiques, la cession de la Bosnie-Herzégovine. Connaissant bien l’ Autriche, grâce à nos rapports de voisinage, nous nous sommes méfiés de ce piège grossier, et l'offre de M. Slepanek fut poliment déclinée.