La Serbie

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Les auisses ef

Genève, Samedi 6 Juillet 1918

JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

Paraissant tous les Samedis

Rédacteur en chef :

Une manifestation imposante en faveur des Yougoslaves a eu lieu le 27 juin à Lausanne. À l'invitation du Comité central de toutes les associations d'étudiants serbo-croato-slovènes en Suisse, les personnages politiques les plus éminents du canton de Vaud sont venus patronner la conférence de M. Henri Sensine, surles Yougoslaves, conférence qui, grâce au succès remporté, marque une véritable étape dans la réalisation de l'unité nationale des Slaves.du sud. Citons entre autres, MM. Mau-

rice Barbey, avocat à Montreux, l'ami éprouvé du

peuple serbe, président du Comité vaudois de secours aux Serbes, le D' Dind, conseiller national, professeur à l'Université ; André Mercier, professeur à l'Université ; M. Maurice Millioud, directeur de la Bibliothèque Universelle; Maurice Muret, professeur, rédacteur olitique de la Gazette de Lausanne ; Louis Pelet, député, professeur à l'Université ; Benjamin Vallotton, homme de lettres ; Oscar Rapin, député, avocat; tous hommes de grande valeur, de réputation incontestée, de sentiments généreux et d'esprit démocratique et foncièrement suisse. Quant au conférencier M.'Henn Sensine, professeur et directeur de la Tribune de Lausanne, son attitude courageuse et la netteté de ses convictions politiques n’ont pas besoin d'être relevés.

M. André Mercier parla le premier, insistant tout d'abord sur la communauté et la solidarité d'intérêts serbes et suisses. Le triomphe intégral de la cause du Droit sera conforme aussi aux aspirations suisses. La question est posée dans toute sa clarté : les hommes auront-ils la

libre disposition de leur sort,ou bien une caste

privilégiée, mégalomane, pourra=t-elle disposer des autres, des millions et millions de peuples asservis ? Il n'y a pas deux réponses : Tous les Suisses, à quelques rares exceptions près, aperçoivent d'où vient le danger et leurs sympathies entières accompagnent ceux qui luttent pour l'indépendance et la liberté. La liberté seule permet à un peuple d'accomplir sa mission. Les traditions yougoslaves sont toutes imprégnées de l'idéal de la liberté, les rhapsodes nätionaux serbes ont chanté depuis des siècles cet idéal, et lorsque en 1389, l'avant-garde du christianisme, la Serbie, succomba sur le champ de Kossovo, l'âme du tzar Lazare est restée vivante dans lé peuple, l'encourageant et l'aidant à résister aux Turcs et à préparer la résurrection. Cette résurrection vint en 1804 sous Kara-Georges, et depuis, la Serbie n'a poursuivi qu'un seul but, elle n’a eu qu'un seul rêve : la liberté et la patrie. Cet idéal, c'est l'idéal suisse, c'est l'idéal vaudois. Il y a, a rappelé M. Mercier, une analogie frappante entre l'ultimatum autrichien à la Serbie de 1914 et l'incident Wohlgemuth de 1889 en Suisse. À cette époque, l'Allemagne émit la même prétention d envoyer ses agents policiers en Suisse. Un vrai Suisse se trouvait à la tête de la Confédération helvétique, Numa Droz.Il refusa net, ne voulant pas permettre une telle atteinte à la liberté de sa patrie.

Malgré toutes les souffrances endurées et tous les martyrs subis, les sacrifices serbes auront rendu un grand service à l'Humanité. On a ouvert les yeux et aperçu le péril qui n'est ni slave ni jaune, mais simplement prussien.Les Suisses forment les meilleurs vœux pour la Yougoslavie, parce qu'ils sont aussi décidés à es leur liberté que les Yougoslaves sont

écidés à la reconquérir. Le droit de la force succombera devant la force du droit et les peuples asservis rejetteront les chaînes de l’esclavage. À ce moment-là, les Suisses partageront la joie des Yougoslaves affranchis et unis à leurs frères de Serbie.

Après M. Mercier, ce fut M. Sensine qui fit une conférence magistrale sur les Yougoslaves, leur passé et leur avenir. Après avoir exposé le rôle politique et psychologique joué par la Serbie dans le mouvement unitaire yougoslave, le conférencier s'arrêta plus particulièrement aux faits et aux manifestations de l'unité nationale des Serbes, Croates et Slovènes. Un souffle d'horreur et d’indignation passa sur la salle lorsque M. Sensine rappela en quelques mots saisissants les atrocités commises par la

nécessaire

Monarchie sur ses propres peuples. Nous regrettons beaucoup de n'avoir pas l'espace our donner même un sommaire aperçu de l'exposé brillant de M. Sensine, qui termina sa conférence en exhortant les Yougoslaves à consacrer toutes leurs forces à la lutte contre l'ennemi et à laisser pour l'aprèsguerre toutes les questions d'ordre intérieur.

Lorsque à la fin, M. Benjamin Vallotton se mit à raconter le sort ‘tragique de cet « admirable petit pays », la Serbie, lorsqu'il évoqua les ravages et les dévastations en Belgique et en Serbie, une émotion indescriptible s’empara de l'assemblée, et bien des gens ne pouvaient contenir leurs larmes à l'évocation de tant de victimes innocentes d'une barbarie sans pareille, Parlant de la Serbie, M. Vallotton assurait qu'il y a des choses qu'on ne peut pas traduire en paroles. L’ultimatum infamant du 23 juillet 1914 suffirait à lui seul à remplir d’indignation toute l'Europe démocratique.

Mais ce qui s’en suivit est beaucoup plus affreux. Une puissance de 53 millions se jeta sur un petit peuple de 3 millions. Pendant plus d’une année, les Serbes résistèrent héroïquement à toutes les attaques et au moment le plus critique le vieux roi Pierre lui-même se trouvait dans les tranchées. Après la débâcle autrichienne en Serbie, en hiver 1914, c'est l'Allemagne qui se chargea d'écraser le petit peuple serbe. Le fameux Mackensen se mit à la tête des troupes prussiennes et allemandes de toutes les parties de l'Empire et secondé par les armées autrichiennes et magyares, se lança sur la Serbie. Deux grandes puissances contre un petit peuple! Mais ce ne fut pas tout. Les Bulgares, trompant jusqu'au dernier moment les Alliés, tombèrent dans le dos des Serbes, qui durent reculer tout en combattant héroïquement. Ce fut alors la retraite tragique par l’Albanie, l'horrible odyssée d'un peuple de braves. Pendant ce temps, en Serbie occupée, les Bulgares se livrèrent aux procédés les plus ignobles de dénationalisation et d'extermination de la population serbe. La terreur bulgare .continue encore aujourd'hui, mais la foi des Serbes dans la victoire et la punition des coupables continue elle aussi. « Lorsque, a conclu M. Vallotton, à la. conclusion de la paix, les cloches commenceront à sonner, c'est à la gloire de l’admirable petit peuple serbe qu’elles sonneront le plus fortement et le plus joyeusement. »

Nous n'avons pas de paroles pour exprimer toute notre gratitude aux esprits élevés de la libre Helvétie, dont les voix sont pour nous d'une valeur inestimable. Les Yougoslaves n’oublieront jamais la journee du 27 juin.

L'anniversaire de Kossovo à Rome

Le comité pour l'entente italo-slave à Rome, présidé par l'honorable M. Canepa, a organisé le 28 juin, dans la grande salle d'Augusteum, une manifestation solennelle en commémoration de la bataille de Kossovo. L'assemblée a été saluée par un télégramme vibrant de M. Orlando : CA deux reprises, dit M. Orlando, la plaine de Kossovo a vu l'armée serbe succomber, malgré sa vaillance prodigieuse, sous le poids de forces supérieures, vaincue non pas par la bravoure mäis par la force brutale. Mais le peuple serbe se lèvera demain, dans la gloire, sur les ruines et les dévastations de sa terre. Ce n'est pas un augure, c'est la certitude même. Parce qu'un peuple qui s’érige dans les vicissitudes de la vie, comme le symbole d'une idée immortelle, de la liberté, ne peut pas

mourir, »

M. Canepa a parlé ensuite de la bataille de Kossovo par

laquelle les Serbes ont voulu protéger toute l'Europe contre l'invasion turque. Après avoir rappelé le joug séculaire des Serbes, leur foi ardente dans la résurrection, M. Cancpa a consacré quelques mols au soulèvement serbe sous KaraGeorges, e turque et à la formation définitive de l'Etat serbe, Piémont de la future Yougoslavie. Il a terminé par un exposé impressionnant de la lutte inégale que la Serbie a soutenue au commencement de la guerre européenne. Cette péroraison fut accueillie par les plus vifs applaudissements de l'auditoire.

La manifestation s’est terminée par les alloculions de MM. Antoniévitch, chargé d'affaires de Serbie et Troumbiich, président du Comité yougoslave. Elle a fourni une nouvelle preuve de la stabilité des rapports italo-yougoslaves, et des gens d'amitié et. de sympathie qui unissent les deux peuples.

D: Lazare MARCOVITCH, professeur

es Vougoslaves

n 1804, à sa délivrance complète de la domination:

à l’Université de Belgrade

Suisse... Gfr. par un ABONNEMENT} re

Autres pays. Jfr.— »

Une nouvelle menace contre les Serbes

La:crise alimentaire en Autriche-Hongrie est à son apogée. Les Austro-Magyars eux-mêmes

né cachent plus la gravité de la situation qui véren empirant et qui ne peul trouver sa solu-

tir logique et inévitable que dans la désagre-

gation complète de la Monarchie. En attendant, le monde assiste à un phénomème étrange qui complète dignement tous les procédés antérieurs dés Centraux. Se voyant en danger d’être affamés, les Autrichiens voudraient réserver ce sort en premier lieu aux populations des territoires occupés. La Serbie, comme pays agricole, est visée plus particulièrement : Les nombreuses assemblées publiques tenues ces jours derniers en Autriche, ont voté, d'après un communiqué du Bureau de Presse serbe de Corfou, des résolutions énergiques invitant le gouvernement à extraire de la Serbie le dernier grain, la dernière pièce de bétail et le dernier kilogramme de lésumes pour nourrir les peuples germano-touraniens. Nous ne savons pas quelle suite. le gouvernement austro-hongrois donnera à ces demandes et nous ignorons également s’il y a quelque chose en Serbie qui se puisse exporler, la population serbe étant elle aussi exposée à la

famine. Ce qui nous révolte, c’est cette absence : des scrupules les plus élémentaires envers un peuple déjà réduit à un tiers ‘de sa population et qui.a-enduré les plus grandes souffrances et

les pirésprivalionsse... Sr

Ces messieurs qui invitent le gouvernement austro-hongrois à arracher aux Serbes les derniers vivres restés en Serbie, pensent probablement qu'une telle mesure n’a rien d’extraordinaire et que, s’il faut mourir, il est tout à fait naturel de faire mourir d'abord les Serbes. Qu'est-ce que c’est que la vie d’unSerbe comparée à la vie d’un fils des peuples « élus! » La question soulevée mérite la plus grande attention des Alliés qui doivent trouver des moyens efficaces pour préserver les populations des territoires envahis du dernier crime que les envahisseurs sont bien capables de commettre. Aujourd'hui on le demande pour la Serbie, demain on le fera pour la Belgique, pour le Nord de la France, et ainsi de suite. Des représailles, el les plus sérieuses, sont nécessaires pour prévenir cette nouvelle menace, plus terrible encore que les précédentes.

Les dernières nouvelles qui nous arrivent d'Autriche-Hongrie témoignent que Sa sluation intérieure est extrêmement critique. Les signes de décomposition devisnnent de plus en plus fréquents et l'en a peine à croire qu'un miracle quel-

| s A ’ S . . cénque puisse arrêter. la marche vertisi-:

neuse des événements vers le cataclysme. IL semble que toutes les forces se soient unies afin de détruire la monarchie du dedans. Les peuples slaves et latins exaspérés par leur sort malheureux, sont persuadés que lé moment actuel est le plus propice à l’accomplissement de leurs rêves séculaires de liberté, De là lentrain et l'énergie qu'ils mettent dans la lutte, les faits hardis et héroïques jusqu'au mépris de toutes les fortunes que la monarchie leur prépare. On a vu que dernièrement les Polonais aussi ont adhéré au mouvement des Tehèques et des Yougoslaves, de sorte qu’on peut parler aujourd’hui dime lutte ouverte «entre les nations maîtresses, Allemands et Magyars, et les peuples kisclaves, Slaves et Latins.

Maïs l'hostilité des peuples esclaves n’est pas le seul facteur qui ronge l'organisme de l'éthéromane danubien. Les maux de la guerre y contribuent d’une façon efficace, au point qu'on peut affirmer que l’'Autriche-Hongrie a un front d'attaque 6ncore plus dangereux que celui des ennemis armés: c'est le front intérieur.

C’est dans la double monarchie que le blocus des Empires Centraux ke fait le plus sentir. Incapables d'organiser la production et d'en assurer la répartition juste, ses dirigeants ont contribué à ce que les menues ressources disponibles soient promptement

| gaspillées et cachées. En effet, pour pou-

voir mener à bonne fin la réquisition, il faut que la population productrice soit avimée d'un sentiment de patriotisme el de solidarité collective. Mais dans cette mosaique des peuples, ce sentiment fait absolument défaut. Au contraire, une divergence profonde règne, ce dont nous voyons aujourd'hui les fruits. Si la monarchie a pu tenir en bride ses peuples esclaves. dans l’armée, cest qu’elle a su organiser merveilleusement sa gendarmerie, Il est tout à fait naturel que sous les mitrailleuises braquées, les peupies esclaves peuvent servir d'excellente chair à canon, mais il est absolument impossible de faire pousser le blé sous La menace constante des mitrailleuses, Ainsi une énorme parlie de la production a été dissimulée et ce qui est encore pire, elle n’a pas même été produite, -Sachant que le revenu de ses terres sera réquisitionné, le. paysan préfère ne produire que ce qui lui est strictement nécessaire pour subvenir à (ses besoins. Aussi la disette prend des proportions de la famine. Celle-ci atteint principalement les ouvriers des villes. La seule arme que les ouvriers possèdent est la grève, dont ils font souvent usage. Ainsi À l’hostilité des peuples esclaves se joint lle imé-

| Vers le crépuscule

des Habsbourg

contentement de la classe ouvrière. Les

deux ensemble présentent une menace qui

à chaque moment peut déclencher le pro-

cessus de la désagrégalion. Les gouver-

nements autrichien et hongrois ne peuvent

rien daire pour remédier à la situation.

Ils n’ont pas le blé espéré de l'Ukraine

et pourtant avec des promesses on ne peut pas satisfaire les estomaes vides. Pour

assurer quand même l’ordre, les gouver-

nements sont obligés de retenir dans l’in-

lénieur du pays une grande partie des

troupes devenues disponibles après Ja dé-

fection russe. Les Magyars et les Alle-

mands sont envoyés dans les contrées . slaves et les Slaves dans les contrées magyares el allemandes.

Cependant il paraît que ces mesures palliatives ne font que retarder ce qui doit arriver. [La sévérité des gouvernements, le patriotisme des partis allemands et maoyars ne peuvent pas endiguer le flot qui monte. Il y a quelques jours un député magyar prononçail an Parlement des paroles significatives: « Aujourd’hui, quand l’état d'esprit est en ébullition, quand la terre tremble sous nos pieds, quand dans beaucoup de régions de la Monarchie on doit recourir à l’étal de siège pour assurer l'ordre, quand nous voyons que l'exaspération touche à son point culminant, nous demandons de nos dirigeants de la bonté, de lempressement et non pas cette « action énergique » qui, selon les enseignements de l’histoire, a dans tous les pays immédiatement devancé leffondrement final ». |

Le spectre de leffondrement final 8e penche déjà sur le corps vieilli de fa double monarchie, il effraye les maîtres et réjouit les peuples esclaves et les prolétaires et présage le plus grand bonheur de -lhumanité du vingtième siècle.

Fe P.

Congratulations serbo-italiennes

Le président du Conseil des ministres serbe, M. Nikola Pachitch, a envoyé le télégramme suivant au président du Conseil des ministres italien, M. Orlando:

« La nouvelle victoire remportée par la vaillante et héroïque armée italienne sur l'ennemi commun fut reçue avec enthousiasme par tous les Serbes. Je m’empresse, Excellence, d’être linterprète auprès de vous des sentiments de cet enthousiasme, en vous exprimant toute notre admiration pour le brillant fait d'armes de l'armée italienne, de même que les félicitations les plus sincères du Gouvernement serbe pour la victoire qui nous rapprochera. beaucoup de la réalisation de la tâche que nous poursuivons dans cette guerre pour le respect des droits de tous les peuples. »