La Serbie
Ifme Année. — No 42
JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE
RÉDACTION et ADMINISTRATION @, rue du XXXI Décembre - Geneve
Téiéphone 14.05
La délivrance de la Serbie et la fin de l'Autriche
Le le octobre, journée glorieuse à jamais, | que le pacte de Londres était censé entrer
l'armée serbe a fait son entrée triomphale à Belgrade, après avoir chassé l'ennemi de tout le territoire du royaume de Serbie. En 45 jours les héros serbes, soutenus par leurs vaillants frères yougoslaves et par les troupes alliées, sont arrivés sur le Danube, la Save et la Drina, prêts às’élancer au secours de leurs frères en Autriche-Hongrie.
La Monarchie des Habsbourg, à l'agonie, n'était pas cependant susceptible de recevoir ce dernier coup. Elle implora l'armistice qui lui fut accordé à la condition d'une capitulation complète. C'est ainsi que par un acte de justice historique la renaissance intégrale de la Serbie s ‘accomplit au moment même ou l'organisme pourri de l’Autriche-Hongrie s'écroule sous la pression irrésistible des peuples aspirant à la vie, à la liberté. Les succès des armées italiennes ont accéléré ce procès de dissolution qui, pour nous, signifie la liberation définitive des Serbes, Croates et Slovènes ét la réalisation de notre rêve le plus cher et le plus élevé, d'une union intégrale de tout notre peuple en un corps politique indépendant, souverain et organisé suivant les principes de la plus large démocratie politique et sociale. La Serbie si calomniée, si brutalement attaquée en 1914, si honteusement maltraitée et ravagée, cette petite Serbie que l’orgueilleux Guillaume Il considérait comme finie, jouit aujourd’hui de la satisfaction morale de voir mürir et se couronner du plus beau succès son œuvre nationale, sa mission sacrée de Piémont de tous les Serbes, Croates et Slovènes.
L'action du Piémont yougoslave fut complétée par la lutte non moins importante de notre peuple en Autriche-Hongrie même. Dès que la convocation du parlement de l'ancienne Autriche en mai 1917 rendit possible une manifestation des sentiments et de la volonté du peuple serbo-croato-slovène, les députés yougoslaves déclarèrent, avec une netteté absolue, que tous les Serbes, Croates et Slovènes réclament la liberté et l'indépendance. Le Club Yougoslave de Vienne, élargi dans’ la suite dans le Conseil national des Slovènes, Croates et Serbes, a affirmé devant le monde entier la solidarité nationale de tous les Yougoslaves et leur décision inébranlable de s'unir à la Serbie et au Monténégro et de vivre ainsi une vie indépendante. La réponse du président
: Wilson à l'offre de paix autrichienne contenait
une reconnaissance expresse du droit absolu des Tchéco-Slovaques et des Serbo-CroatoSlovènes de déterminer eux-mêmes la nature de leur rapports envers l'ancienne Autriche.
Par conséquent, dans l'exécution des conditions
de l'armistice conclu, les Alliés ont le devoir de régler toutes les questions concernant les territoires tchéco-slovaques et yougoslaves, avec les représentants des nations respectives, dans notre cas avec le gouvernement de Serbie et le Conseil national de Zagreb. Le peuple serbe, croate et slovène est de fait un allié des Alliés. Il est d&nc de la plus grande urgence de prendre des mesures en correspondance, dictées par des réalités, afin d'éviter des confusions et dedfincidents qui ne manqueront pas de se produire si l'on traite notre sol national comme un territoire ennemi occupé.
Ce qui nous surprend plus particulièrement c'est l'annonce officielle de l'occupation des iles dalmates par les troupes italiennes qui ont même arboré les drapeaux italiens sur des terres appartenant indissolublement aux SerboCroates. Le royaume d'Italie a conclu en 1915 avec les Alliés un pacte, mais ce traité, nous ne le reconnaissons pas et nous ne l'avons jamais reconnu. D'ailleurs, il a été virtuellement annulé par les résolutions du Congres de Campidoglio en avril dernier ainsi que par la déclaration formelle de M. Orlando
de notre génération ont donné leurs vies.
. poussée toujours plus en avant par sa VO-
Prix du Numéro
10 Centimes
Paraissant tous les Lundis
Rédacteur en chef : Dr Lazare MARCOVITCH, professeur
en vigueur uniquement dans le cas du maintient de l’Autriche-Hongrie. Nous demandons donc, dans l'intérêt commun du peuple italien et du peuple serbo-croate- slovène, que l'Italie retire au plus tôt ses gouverneurs et ses drapeaux de toutes les terres qui ne sont pas, au point de vue éthnique, indubitablement italiennes. C'est l'honneur italien qui l'exige en premier lieu, parce que c'est avec l'Italie des résolutions du Congrès de Rome et non pas avec celles des stipulations de Londres que la nation serbo-croato-slovène entend discuter des conditions de paix.
L. M.
Conférences serbo-croates-slovènes à Genèue
Une réunion importante a lieu en ce moment à Genève, entre le chef du gouvernement de Serbie, M. Pachitch, et les délégués du Conseil National des Serbes, Croates et Slovènes de Zagreb. Dans un salon de l'Hôtel National, le représentant officiel de la Serbie, assisté par les chefs des partis d'opposition, discute librement, fraternellement avec les envoyés de notre peuple, de l’ancienne Autriche-Hongrie. L'ennemi séculaire de notre race, étant vaincu, la nation entière délivrée de toute domination étrangère, s'apprête maintenant à réaliser au dehors et au dedans cette unité politique pour laquelle les meilleurs
Il s’agit de créer de suite les organes unitaires, ces symboles nécessaires de la communauté étatique. Le peuple serbe, croate et slovène a besoin d’une fusion rapide, afin que les anciennes barrières artificielles disparaissent au plus tôt. Cela ne veut pas dire qu’en quarante-huit heures tout serait réglé et que toutes les questions trouveraient immédiatement leurs solutions définitives. Les manifestations répétées de nos organisations politiques exprimant toutes la même solidarité nationale et les mêmes aspirations, sont la meilleure garantie du succès complet des conférences actuellement en cours.
Un communiqué historique
: Le dernier communiqué de larmée d'Orient, daté du 2 novembre, restera un document historique pour la façon serbe de faire la guerre, Voici son “texte:
« A la suite de la prise de Belgrade par les troupes serbes, les Allemands et les Autrichiens battus se Isont retirés sur la rive nord du Daunbe.
La deuxième armée serbe a atteint la frontière bosniaque. La Serbie presque tout entière est délivrée,
Les combats qui devaient décider de cette grande victoire ont commencé le 15 septembre. Pès le 24 la ligne de comrmunication du Vardar était coupée, Uskub pris le 29. La dislocation des forces bulgares a été suivie de leur capitulation. Le 30 septembre, les hostilités ont pris fin. Les combats ont continué par la défaite des troupes austro-allemandes. Le 12 octobre, la bataille de Nich marque la dérou te: de quatre divisions ennemies €t la rupture de la grande artère de communication des empires centraux vers Constantinople. Le 18, Lom-Palanka est atteint et la voie du Danube coupée à son tour. Puis, dernier épisode, B Belgrade est prise,
La première armée serbe, à laquelle revient l'honneur d'être entrée à Belgrade, a participé à tous les combats. marchant sans arrêt, sans repos. toujours en conçact étroit avec l'ennemi, qu'elle tenait à la gorge, très ave mal ravitaillée, mais ne “connaissant ni la fatigue ni la faim,
lonté de vaincre à tout prix. A ses côtés, les troupes alliées ont réalisé les plus
grands efforts pour mener à bien la tâche qui leur était sente a: l'écrasement de l’enneri. commun. .
à l'Université de Belgrade
Genève; Lundi 1! Novembre 1918
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La Hongrie millénaire «in extremis »
Les événements se | précipitent avec une telle rapidité qu'il est difficile de suivre toutes les phases de la comédie semi- dramatique jouée actuellement à Budapest. Nous ne doutons pas “RÉ la-sincérité des masses” ouvrières magyares qi réclament la paix et le pain, mais nous avons toutes les raisons de nous méfier du nouveau gouvernement « national » en Hongrie, présidé par le comte Carolyi et dont fait partie aussi le professeur Oskar Jassi. C'est que le comte Carolyi base son idéologie politique sur les mêmes fondements que ses prédécesseurs, à savoir sur l'intégrité de la Hongrie actuelle. Ce dogme de l’intangibilité des possessions magyares est en opposition irréductible avec le droit des Serbo-Croates, des Roumains ef des Slovaques de se délivrer des griffes magyares et de s'unir à leurs nations respectives. Cela empêche pas le comte Carolyi de jouer la comédie jusqu’au bout et de se livrer à des manifestations plutot comiques.
C’est ainsi que le comte Carolyt a adressé un
|sälut pompeux au Conseil National des Slovè1788, Croates et Serbes à RU nd ne pee AR À Un uno le félicitant
jours beaucoup de bien. Il représente un des très rares exemples d’un homme qui fut porté à la plus haute position qu'un pays péut donner à l’un de ses fils, par l'unanimité, d’un homme ayant la plus parfhite confiance de tous les partis, de toutes les classes et de tous les hommes: Ceci dérive du fait que le président dd Conseil National des Slovènes, Croates et Serbes de Zagreb est un homme purement positif, individualiste le moins possible, incarnant en lui, pour ainsi dire, la collectivité des idéals et des aspirations de son peuple. C’est un vrai représentant et un vrai démocrate. Cest pour cela que, en parlant de M. Korosec, on ne pourra pas le détacher de l'ensemble de la vie nationale. Les faits personnels de sa vie sont bien simples. Il est Slovène, de Styrie, tandis que ses parents descendent d'un comitat limitrophe de la Hongrie où le peuple slovène est si cruellement opprimé depuis des siècles par les Magyars. Il est âgé de 45 ans. Prêtre catholique, il a cependant toujours eu les idées larges et très libérales et fut opposé au cléricalisme intransigeant, inclinant plutôt vers le socialisme, Fils de simples paysans, il n’a jamais connu la richesse. Aujourd’hui encore, sa vie est simple et sobre. Il est toujours resté dans le peuple et avec le peuple. La carrière politique de M. Korosec a été des plus brillantes. Agé à peine de 33 ans, il a été élu député au parlement de Vienne, dans la circonscription de Kozje en Styrie slovène, comme membre du parti populiste. 11 fut réélu 4 ans après. Tacticien habile, tempérament modéré, homme honnête, objectif, sans grande passion de parti, M. Korosec a été désigné pour les plus hautes fonctions dans la politique nationale, pour diriger surtout des actions communes entre les partis. Ainsi, il fut successivement président du Club parlementaire croato-slovène, du Club Yougoslave, du Conseil National Slovène, du Conseil National des Slovènes, Croates et Serbes de Zagreb, tout en conservant la présidence du parti populaire slovène.
Le travail de M. Korosec est intimement lié à celui de son grand ami, feu Jane Krek, une des plus belles et des plus puissantes
de la délivrance de notre peuple du joug 2iranger. Mais dans ce Conseil se tr ouvent uu35 lés représentants de la Voivodina Serbe, de Bai-chka, de Baragna et de Médjoumourié, régions ‘serbo-eroates Je font partie de celte Hongrie millénaire que le comte Carolyt veut SHADOT. Mais ce n'est pas tout. Le gouvernement de Carolyi a lancé au monde entier un appeien faveur de la conservation de toutes les noszessions magyares, justifiant cette demande étran-
ge par l'assurance que la Hongrie aurait à l'avenir un régime démocratique. Le comble de cette manœuvre c'est La décision du comte Carolyi de se rendre au Quartier Général italien pour y chercher des alliés à la cause magyare.
Nous savons très bien que touies ces tentait
ves «in extremis » de sauver un anachronisme, un Etat plus rapace, plus suranné que * l'Aufrtche même. sont vouées d'avance à l'échec complei. On ne peut que plaindre le peuple magyar qui ne comprend pas encore aujourd hut que tout retaur au Moyen-Age est impossible ei que seule l'intégrité du peuple magyar pr ésente ‘un programme discutable.
De PE sr ioE. rodhi ot 2: Korochets
C'est un des rares hommes politiques | figures dans l'histoire de la branche slovène dont on n’a jamais dit du mal, mais tou- | de la nation yougoslave.
Krek organisait les larges couches du peuple pour un travail positif, dans le domaine économique, il l'élevait dans des conceptions politiques, démocratiques et sociales. Ii professait la morale sociale et conduisait le peuple dans ses ellorts vers Ja civilisation, vers l'instruction, vers un socialisme sain. M. Koroÿec conduisait Île peuple ainsi discipliné et organisé vers ses idéals politiques, successivement, de degré en degré. Toute la vie politique commune des Yougoslavés de l'Autriche, dans les dernières dix années, a eu M. Korosec dans son sein.
Il a toujours été un fervent lutteur pour l'unité nationale serbo-croate-slovène Toute sa politique marchait vers le but final d'un Etat Yougoslave vraiment démocratique et vraiment indépendant. M. Koroëec n'est pas un célèbre écrivain politique, mais c’est un grand orateur, connaissant l’âme du peuple et comprenant dans toutes ses profondeurs les intimes pensées, les souffrances et les aspirations des larges masses. Le pays slovène n'a jamais connu d'homme qui eut été tant aimé, soutenu, suivi par toutes les masses des paysans, des travailleurs, aussi bien que des bourgeois et des intellectuels. C’est un chef des masses. C’est un chef porté à la tête de la nation par la volonté de la nation.
La nation a élu M. Korosec à la représentation suprême, parce qu'elle sait qu'il aura toujours en vue uniquement le bien des grandes masses et jamais l'intérêt des particuliers. La nation le sait par expérience. Elle la choisi, parce qu'elle sait qu’il sera ferme, objectif, sans passion ni parti-pris, parce qu’elle a confiance dans son esprit clair qui regardera les choses non pas d'un point de vue restreint, mais d’un point de vue large. Tourné vers l’avenir. Sa responsabilité est lourde, mais il n’y a pas de doute que toute la nation acceptera comme siennes les résolutions qu'il aura prise en commun avec les représentants des autres branches de notre nation, en cordiale fraternité, les résolutions qui seront de nature de préparer un meillenr avenir du peuple vivant de la Brégalnica à la frontière tyrolienne.
Vladislavé Fabiantchitch