La terreur à Paris
LES SALONS DE PARIS 999
contre le mur les quatre lits des guichetiers ; deux tables rapprochées l’une de l’autre, cachaient leurs pieds boiteux et tout sculptés d'inscriptions ou de dessins bizarres, sous une couverture de laine servant de tapis. Chaque arrivant, muni de sa chaise et de sa chandelle, prenait place soit autour de la table, soit auprès du chauffoir. Les dames médisaient entre elles ou tricotaient ou brodaient tout en recevant les hommages de leurs nombreux courtisans. Les hommes parlaient politique, jouaient aux cartes, aux dés, aux osselets, ou bien lisaient à tour de rôle, à l’auditoire, le pages furibondes du Courrier républicain, les déclamations babouvistes du 7ribun du Peuple et les utopies du Journal des Hommes libres, rédigé par le marquis d’Antonelle.
« Quelquefois Saint-Prix déclamait ; le baron de Witersback, la première viole d'amour de son temps, réjouissait l'ouïe de ses co-détenus par l'enchanteresse mélodie de ses accords; puis arrivait Vigée avec un nouveau chapitre de sa Fausse Coquette ; les bouts-rimés sautillaient dans la salle, les propos interrompus glissaient de bouche en bouche, excitant à la fois l'étonnement et l'hilarité des joûteurs, souvent un nouveau compagnon de chaîne payait sa bienvenue par l'improvisation d’un pot-pourri sur tous les airs à la mode ou par un souper ambigu: dont l'étrange assemblage de mets provoquait des rires inextinguibles. Ceci était le beau idéal de la captivité. Mais quand tous s’oubliaient ainsi dans le bruit, dans la joie et le charme de la société, on entendait, soudain, sous les fenêtres de la prison, la voix sépulcrale d'un crieur public qui proclamait /a liste des cent cinquante gagnants à la loterie de la sainte quillotine !