Le drame serbe : octobre 1915 - mars 1916

LA DERNIÈRE ROUTE DE SERBIE 93

des aventures personnelles? Puis-je vous dire, alors que je traversais les misères des autres, mes petites tristesses à moi, comment j'ai mangé, où j'ai dormi et la marche dans la boue jusqu'au ventre, et la pluie qui tombe jour et nuit, vous glaçant jusqu'aux moelles? Puis-je vous dire ma torpédo enlisée jusqu’à l’essieu, ne sortant de là, le moteur ivre, les roues folles, que pour aller prendre feu et brüler quelques kilomètres plus loin, elle et la valise des légations alliées que j'emportais ? Puis-je vous dire le chemin continué au pas lent des buffles noirs et les roues cahotantes du char macédonien qui lui-même ne résistera pas à l’invraisemblable itinéraire ? Puis-je vous dire le pont emporté par la crue et le cheval qui se noie avec un hennissement de douleur? Puis-je vous dire l’embuscade des brigands mirdites? Puis-je vous dire les interminables étapes à pied, et la faim, et la fatigue de la dernière route de Serbie? Puis-je vous faire un journal de voyages, et sous les yeux du lecteur amusé poser devant