Le drame serbe : octobre 1915 - mars 1916

L'ENFER SUR L'ILE ENCHANTÉE 215

vous dirai tout à l'heure combien il en restait à l'arrivée. Les autres, les soldats déjà embrigadés, avaient des points de ralliement sur le sentier de la retraite. Quelque grand que fût leur désarroi, ils recevaient encore des ordres, ils possédaient des chefs, des colonels, des capitaines, des lieutenants. Certains régiments même avaient pu emporter avec eux un drapeau, un clairon, parfois un tambour. C'était là un emblème, un signal autour duquel on se réunissait. Certes, il y avait beau temps que le service d'intendance et celui de santé n'existaient plus. Néanmoins, il restait encore quelques sacs de farine. À Scutari, les hommes touchèrent un jour 200 grammes de pain. À Saint-Jean de Médua, il y eut une distribution de charogne. Plus loin, à Durazzo, on put mâcher une poignée de maïs. À Valona, on découvrit quelques kilos de son. Dans l'horreur de la faim ce fut encore quelque chose. Mais ce quelque chose n'existait que pour les soldats embrigadés, pour ceux qui faisaient déjà partie de l’armée.