Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures
CHAPITRE SIXIÈME. . 195
âge, sont restés vivants et palpitants dans la mémoire du peuple.
La légende a remplacé pour luile livre et, mieux que le livre, elle l’excite, elle l’enivre, elle fait de lui un peuple fier et libre. Aussi, qui pourrait s'étonner d'entendre le Monténégrin, devant cette ébauche de l'art, devenue son instrument vénéré et favori, sa chère guzla, s'écrier : Voilà toute notre histoire! Et c’est bien en effet toute son histoire, car les chants qu'accompagne la guzla sont innombrables, et chaque jour encore quelque poëte inconnu apporte une nouvelle perle à cet écrin national où l'historien peut aller puiser à pleines mains.
Cependant le chanteur a préludé par un cri perçant qu'il module sans aucun art et par successions enharmoniques, jusqu'à ce que sa voix ait repris le ton de l’instrument. Alors, sûr de lui-même, il commence l'héroïque mélopée. Mais rien dans la déclamation musicale de ces longues strophes ne viendra varier la phrase mélodique, unique, monotone, si ce n’est l'expression que le rapsode saura lui donner aux passages véhéments ou pathétiques.
Chaque syllabe du chant, exigeant à son tour un nouveau coup d'archet , le vers se déroule, scandé, martelé infatigablement, sans quel'interminablerécitatif parvienne à fatiguer l'auditoire attentif et passionné. Plus tard, si nous le pouvons, en réunissant dans une œuvre nouvelle quelques-uns à chants empruntés à cette longue épopée, dont les fragments épars sont comme les lambeaux d’une autre Iliade, nous verrons la poésie, tour à tour héroïque, guerrière, élégiaque, faire vibrer chez les Jougo-Slaves toutes les cordes de la lyre antique, célébrant comme Homère les prouesses des grands capi-