Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures
CHAPITRE SEPTIÈME. 219
Ceux qui n'ont pu aller à la forêt couper les badnjak les achètent sur le pas de leur porte, mais sans en disputer le prix, car c’est un péché de marchander le bois de Noël. Autant il y a de mâles dans la maison, autant doit-on mettre de badnjak contre la façade du logis; mais d'ordinaire on en ajoute un de plus, comme présage heureux de l'accroissement de la famille. De son côté, la mère de famille se procure un painsans levain (ichesnitsa), et fait rôtir pour le festin du lendemain, soit un mouton, soit plutôt un porc entier, ce dernier animal étant choisi de préférence, en haine des Musulmans qui le considèrent comme impur. Chacun songe également à faire ses provisions de tout genre, car il faut s'attendre à trouver closes le lendemain toutes les portes des marchands. La nuit arrive, et dans chaque intérieur commencent les cérémonies de la veillée. Quand le feu est allumé et le souper prêt, le père de famille va le premier chercher son badnjak, et dit, en le rapportant : « Bonjour, à vous tous beaucoup d’étés *. » On répond : « Qu'il en soil ainsi. » Et la mère va répandre du grain sur le seuil de la maison, pour rendre l’année fertile. Quand le père a placé son bois dans le foyer, chacun des fils à son tour apporte le sien, et l'on construit ainsi un véritable bûcher sur lequel le chef de famille accomplit une nouvelle cérémonie. Prenant une bouteille de vin, il en répand, en formant la croix, aux quatre coins du badnjak , sur lequel il jette aussi un peu de grain, puis il dit : « Pour beaucoup d’étés, et puisse le premier être le meilleur ! » Il
1 Les Monténégrins comptent volontiers les années par saisons ; de même ils indiquent rarement la date ou l’époque de l'année, mais ils s'en réfèrent à telle ou telle fête (comme saint Pierre, sainte Barbe) ou à tel événement annuel (comme l'impôt, la récolte, etc.).