Le mouvement des idées : sur une histoire de la Révolution

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communistes, comme Jacques Roux, Lange ou Chalier, « l’appui nécessaire de son énergie et de son immense influence ».

À ce portrait adouci et comme sympathique, je n'opposerai pas le portrait violent, sur fond noir, que Taie a tracé avec une rare vigueur (1) : si solides qu’en soient les dessous, Taine, er ce moment, ne fait pas autorité aux yeux de tous. Je dis : « en ce moment », parce que je suis, pour ma part, persuadé qu’on reconnaîtra bientôt la solidité de sa méthode, et qu'après une étude contradictoire de sa documentation, l’on rendra | pleine justice à ses jugements. Mais j'ouvre l'Histoire politique de la Révolution française, de M. Aulard (2),

et j'y trouve des traits qui corrigent d’une façon bien

significative le pastel un peu sommaire de M. Kropotkine. Marat « aime » le peuple, c'est entendu; mais en même temps il le méprise, et voilà qui rabaisse déjà la nuance de son sentiment. Eut-il, comme on l’a soutenu, le délire de la persécution? M. Aulard ne se prononce par sur ce point avec beaucoup de décision, et on l'en excusera : noussavons ce que valent les diagnostics posthumes. Fut-il sanguinaire? C'est beaucoup dire. Il a débuté par demander modestement quelques têtes; le moment arriva où il lui en fallut deux cent mille pour sauver la République : et s’il ne les obtint pas, ce ne fut pas faute de les demander. M. Aulard en conclut que « la pitié le rend cruel, non la peur ». Si l’on était moins indulgent, on pourrait répondre que l'appétit vient en mangeant. En tout cas, que ce fût par pitié, par peur ou par cruauté, Marat n’en réclama pas moins des têtes et encore des têtes. « Les massacres de septembrew n'auraient peut-être pas eu lieu, s’il ne les avait pas. conseillés... L'émeute du 25 février 1703, où quelques

(x) La Révolution, t. II, p. 159-74 de l’édit. in-8°. (2) Deuxième édition. Paris, Colin, 1903, p. 418-32.