Les derniers jours d'André Chénier

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208 LES DERNIERS JOURS D'ANDRÉ CHÉNIER

au registre d’écrou de Saint-Lazare sous le numéro 886. Le numéro 88%, dans la cellule voisine de la sienne, c'était un bellâtre à l'air avantageux, un peu commun, très débrouillard, habile à dépister les mouchards que Fouquier-Tinville apostait dans les prisons pour faire causer les prisonniers et pour leur faire tenir des propos compromettants, — aveccela intarissable en plaisanteries, « très drôle, » comme on dit aujourd’hui, bref pourvu de toutes les qualités qui « emballent » les femmes frivoles. Il s'appelait Mouret de Montrond. Avec un pareil séducteur, André, qui n'avait que du génie, ne pouvait rivaliser. Il y a bien du dépit dans ces vers, où l’auteur de la Feune Captive, délaissant le rythme mol et berceur de ses élégies, reprend les âpres accents de l’iambe satirique et courroucé.

Ici même, en ces parcs où la Mort nous fait paître, Où la hache nous tire au sort,

Beaux poulets sont écrits; maris, amants sont dupes, Caqüetage, intrigues de sots.…. On y chante; on y joue. On y fait chansons et bons mots...

« Ces galanteries, dit éloquemment M. Étienne Lamy, lui prouvaient maintenant l’incurable légèreté de ces « honnêtes gens » pour qui il avait lutté, pour qui il allait périr. Leurs gestes de menuet pendant la tempête, leurs rires dans la tragédie, leurs baisers qui épuisaient en plaisir le temps dû aux haïnes et aux amours publics, furent sa dernière douleur ». Hélas! Aimée de Coigny fut sa dernière déception. Les stances de la Yeune captive furent sa dernière pastorale, Ensuite, il est tout à l’indignation, à de graves et austères pensées, il dévore secrètement l’amertume de sa rancœur.

C’est une effrayante agonie. Il sent venir la fin de sa brève existence, mais non pas: